Qui sont les « personnes de couleur » ? Qu'est-ce que « l'Asie » ? Quels sont ces regards qui ne s'arrêteraient jamais ? Cet article se propose d'explorer des expressions qui font débat et qui interrogent sur le rapport aux autres et à soi.
« Personnes de couleur »
Voilà une expression qui provoque bien des débats. Qui sont ces « personnes de couleur » expatriées en Asie ? Faut-il voir dans cette expression un synonyme des Noirs ? Faut-il plutôt y voir un synonyme des personnes non blanches ? Ce qui reviendrait à prendre comme valeur de référence la couleur de peau blanche, point de vue que refusent d'adopter nombre d'opposants à la formule « personnes de couleur ». Ces derniers rappellent en effet que l'expression est raciste.
« Poème à mon frère blanc »
Interviewée le 10 novembre 2020 dans l'émission Droits et Libertés de Deutsche Welle (DW), chaîne de radio internationale allemande, Dr. Marie-Noëlle Nono revient sur l'expression « personne de couleur ». « […] Je l'ai toujours trouvée plutôt insultante. […] j'ai le sentiment qu'il y a une part de culpabilité de la part des gens qui l'utilisent comme s'ils pensaient : « si on utilise le terme « Noir », ça va choquer la personne… Car « noir » est toujours associé à ce qui est mauvais, c'est associé à l'obscurité, à la négativité… ». Au contraire, pour la docteure, c'est bien l'expression « personne de couleur » qui choque. Car il n'existe pas de « race noire », pas plus que de « race blanche ». Il existe « la race humaine ».
Bien sûr, ce constat ne nie pas les différentes couleurs de peau, variations génétiques dues à la « fabrication de mélanine ». Déjà, en 2012, la docteure signait une tribune dans le journal français La Nouvelle République, dans laquelle elle renvoyait l'expression au passé colonial de la France, un passé auquel l'État doit faire face. C'est dans ce passé qu'il faudrait fouiller, pour débarrasser le terme « noir » de toute mauvaise connotation.
Certains n'utilisent pas « personne de couleur » en pensant mal faire, au contraire. Mais de même qu'aucun Blanc n'est choqué qu'on le désigne comme étant blanc, un Noir n'est pas choqué d'être désigné comme étant noir. « […] Qu'on soit blanc, noir, jaune ou rouge, nous sommes « tous de couleur », conclut la docteure. Elle rappelle le célèbre « Poème à mon frère blanc », attribué à Léopold Sedar Senghor.
Qui sont les « personnes de couleur » ?
Qui sont les « personnes de couleur » ? Un article paru le 16 janvier 2023 sur le site Study International note qu'aux États-Unis, « people of color » vient de la traduction du terme français « gens de couleur ». Efren Perez, professeur de sciences politiques et de psychologie à l'université de Californie à Los Angeles, rappelle que la formule, autrefois prise pour désigner les Noirs, s'est étendue aux Asiatiques, Amérindiens, Latinos… Là encore, le terme suscite la polémique.
Pourquoi ne pas demander aux personnes concernées ? Face à ses étudiants blancs inquiets de paraître insultants devant leurs camarades ayant une autre couleur de peau, Yolanda Moses, professeure d'anthropologie à l'Université de Californie à Riverside, livre un conseil simple : « Demandez-leur ». Elle s'interroge : faudrait-il plutôt nommer les personnes selon leur pays ou leur continent d'origine ? Puisqu'on dit « Afro-américain », pourquoi ne dit-on pas « Européo-américain » ? Utiliser le terme « Européo-américain » rendrait-il le terme « Blanc » obsolète ?
La professeure souligne un contre-mouvement émanant de militants antiracistes, qui interrogent les expressions racistes, se les réapproprient et les redéfinissent, pour affirmer leur identité et réunir toutes les ethnies. Confère le mouvement #Blacklivesmatter qui a rassemblé bien au-delà des Noirs. C'est ce qu'on appelle le « retournement de stigmate », précise la sociologue Véronique Clette dans un article de Simon Bourgeois paru le 24 juin 2020 sur le site du journal belge RTBF.
Dans le même article, Mireille-Tsheusi Rober, militante antiraciste et présidente de l'ASBL Bamako (comité féminin de veille antiraciste), rappelle : « Comment je m'appelle ne peut pas être déterminé par moi seulement ou l'autre seulement. C'est un échange. » Échange auquel les Noirs ont longtemps été exclus, précise la militante. La linguiste Laurance Rosier ajoute que toute expression a une charge symbolique. « Les expressions négatives associées aux Noirs ont des effets jusqu'à aujourd'hui. » Pour la linguiste, les charges actuelles contre des expressions comme « personnes de couleur » expriment « une volonté de réappropriation symbolique d'une identité, non seulement à soi, mais aux yeux des autres ».
Vivre en tant qu'« expat de couleur en Asie »
On rappelle que cet article cherche à savoir « ce que cela fait » de vivre dans un pays asiatique quand on n'est pas soi-même asiatique. L'expression « personne de couleur », qui évoque un passé raciste, est bien entendu mise de côté. Il s'agit donc de se demander comment les étrangers perçoivent leur quotidien dans leur pays d'expatriation, en l'occurrence, le pays asiatique dans lequel ils vivent. Encore faudrait-il s'entendre sur ce qu'est l'Asie.
Tout comme certains ont « une idée » de ce qu'est un « Noir » (idée souvent empreinte de clichés), certains ont une « idée » de ce qu'est « l'Asie ». L'Asie serait le Japon, la Corée du Sud, la Chine… L'Asie serait essentiellement à l'Est. Cette « idée de l'Asie » oublie les Émirats arabes unis, le Bangladesh ou le Qatar.
En effet, le continent asiatique compte 50 pays : l'Afghanistan, l'Arabie Saoudite, l'Arménie, l'Azerbaïdjan, le Bahreïn, le Bangladesh, la Birmanie / le Myanmar, le Brunei, le Bhoutan, le Cambodge, la Chine, Chypre, Corée du Nord, la Corée du Sud, les Émirats arabes unis, Hong Kong, l'Inde, l'Indonésie, l'Iran, l'Irak, Israël, le Japon, la Jordanie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Koweït, le Laos, le Liban, la Malaisie, les Maldives, la Mongolie, le Népal, Oman, l'Ouzbékistan, le Pakistan, la Palestine, les Philippines, le Qatar, la Russie, Singapour, le Sri Lanka, la Syrie, le Tadjikistan, Taïwan, la Thaïlande, le Timor oriental, la Turquie, le Turkménistan, le Viêt Nam, le Yémen.
Certains pays appartiennent à deux continents. Ainsi, l'Arménie, l'Azerbaïdjan, Chypre, la Géorgie, le Kazakhstan, la Russie et la Turquie sont des États eurasiens ; ils sont, et sur le continent européen, et sur le continent asiatique. L'ONU ne reconnaît pas la Palestine comme un État à part entière, mais comme un « État observateur ».
Comment vit-on dans un pays où « tout le monde » nous regarde « tout le temps » ?
Qui est « tout le monde » ? L'expression pourrait se rapprocher du « on ». Il est plus simple d'utiliser ce pronom personnel singulier, qui renvoie à « tout le monde » ou plutôt « à personne ». Qui se cache derrière le « on » ? Quelles sont ces personnes qui « nous regardent tout le temps » ? On pourrait, de même, s'interroger sur le « nous ». Tous les étrangers vivant dans un pays asiatique se sentent-ils regardés constamment ? Et que dire, par exemple, d'un Asiatique expatrié dans un autre pays asiatique ? Quel pourrait être le témoignage d'une personne d'origine pakistanaise immigrée au Japon, en Inde, au Laos ou en Turquie ?
Bien entendu, « on » ne « nous » regarde pas « tout le temps ». La question invite cependant à s'interroger sur les perceptions qu'on peut avoir de l'autre (l'article continuera d'utiliser le « on » par commodité…). Des perceptions souvent erronées, puisant leurs racines dans les histoires des États, avec des répercussions jusqu'à aujourd'hui, dans différents domaines de la vie : monde du travail, divertissement, interactions sociales…
Tout le monde et tout le temps
Mais « tout le monde », ce n'est pas tout à fait « on ». Alors que « on » ne représente personne de défini, « tout le monde » implique l'entièreté de la population. « Tout le monde » nous regarde. Cette entièreté induite par le « tout » suppose que « le monde entier » (pour le présent article : tous les locaux vivant dans les pays asiatiques) nous regardent ; « nous » étant mis pour « les étrangers ». Voilà donc un monde où chaque habitant de nationalité asiatique passerait son temps à regarder chaque étranger. Décortiquer ainsi l'expression peut faire sourire. On sait bien qu'il ne s'agit pas de cela. « Tout le monde » souligne le fait que « beaucoup de locaux asiatiques » regardent les étrangers.
Néanmoins, l'expression interroge, car elle induit un biais, en ignorant des variables pourtant importantes comme le pays, la région, la ville, le quartier, le lieu (campagne, centre-ville, club de sport, lieu de travail, et quel lieu de travail, supérette, centre commercial, etc.)… Les regards ne seront pas toujours les mêmes. Parfois, il n'y aura pas de regard du tout. Et parfois, oui, les regards seront très présents.
Même raisonnement pour la fin de la question. Il faut dans certains cas forcer le trait, quitte à être très premier degré. On a bien sûr compris que les locaux ne passaient pas tout leur temps à regarder les étrangers. Ils ont mieux à faire. Mais comme la formule « tout le monde », l'expression « tout le temps » induit un biais. Or, on est tellement habitué à entendre et à utiliser ces expressions qu'on oublie parfois les détournements qu'elles induisent. Elles apportent en effet une vision floue, voire erronée, de réalités bien diverses.
Témoignages et regards croisés
Pour finir, quelques pensées et témoignages de ces expats en terre asiatique. Chacun raconte son vécu, et il serait vain de vouloir en tirer une quelconque vérité générale. Ces récits sont autant de parcours, de rencontres, de bonnes nouvelles, de désillusions, d'apprentissages.
Les Émirats arabes unis, terre d'expatriation
Mieux vaut-il être Arabe ou Blanc pour bénéficier d'un traitement meilleur aux Émirats arabes unis (EAU) ? Le pays, majoritairement composé d'étrangers, a multiplié les plans pour attirer toujours plus de nouveaux talents. Mais le regard porté sur ces talents étrangers varie-t-il selon leur couleur de peau ? C'est la question que se posaient des immigrés blancs devant une différence « qui sautait aux yeux ». L'un d'entre eux, Zane, témoignait en avril 2016 auprès du journal néo-zélandais Stuff. Il constatait que les Arabes étaient traités avec un grand respect. Venaient ensuite les Blancs. Les autres, notamment les Indiens, les Philippins, les Bangladais ou les Pakistanais, subissaient davantage de discriminations. Les Indiens forment pourtant la plus grande communauté d'expatriés aux EAU, puisqu'ils représentent près de 30 % de la population. Bien que majoritaires en nombre, moins de la moitié appartient aux cols blancs.
Zane relaye le témoignage d'une expatriée indienne qui évoque les nombreuses discriminations subies par les Indiens, qu'ils soient cols bleus ou cols blancs. Ils gagneraient moins que des salariés arabes ou blancs occupant les mêmes postes, subiraient « les regards » parfois méprisants des autres populations. En 2020 et 2021, d'autres expatriés indiens racontent au contraire leur réussite sociale. Ils rappellent que des générations d'Indiens vivent aux EAU (en particulier depuis les années 60 et le boom pétrolier). Environ 20 % des Indiens des EAU sont riches. Ils insistent sur les « bulles sociales » ou « sphères » dans lesquelles le regard change. Occuper un poste à responsabilité dans la banque, la finance ou l'immobilier fait entrer dans l'une de ces « bulles sociales » de réussite. Ils ne cachent pas pour autant l'existence de discriminations. C'est, pour eux, l'autre face des EAU, très loin de l'image avant-gardiste que l'État entend se donner.
Regards en Inde
« Il faut s'attendre à attirer les regards ». Angélique témoigne sur Spirit Travelers, le blog voyage de Tom. Elle est blanche et a découvert ses « […] premières dizaines de regards lors de ses premiers selfies » à son arrivée à Haridwar. « C'est étrange, pour une fois, j'étais « la personne différente », la discriminée. » Des regards qui peuvent être « lourds », mais auxquels la voyageuse s'est habituée. Nedjma apporte un témoignage similaire : « Le plus déconcertant, c'était le fait d'être prise en photo tout le temps […] ».
Pour Anaïs « […] parcourir le nord de l'Inde en étant une femme occidentale, c'est généralement s'attendre à être nous-mêmes une découverte aux yeux des Indiens. » Un constat qui sonne comme une leçon d'humilité pour la jeune femme. « […] comme la différence attise la curiosité, voyager, c'est accepter les deux. Au cours d'un voyage en Inde, ne passons-nous pas nous-mêmes notre temps à contempler les Indiens ? ». Droits des femmes, poids de la culture, patriarcat… On entend beaucoup de choses sur les voyages de femmes seules en Inde. Anaïs dit s'être sentie en totale sécurité. Angélique perçoit une incompréhension dans le regard des hommes indiens. Une femme seule qui voyage ne fait pas partie des habitudes du pays. Les hommes blancs parlent aussi de ces fameux regards. En janvier 2023, le YouTubeur Tomas Masa témoigne sur sa chaîne : « […] peu d'étrangers à New Delhi, tu vas vite attirer tous les regards malgré la foule. C'est assez difficile de passer inaperçu. »
Engager la conversation en Corée du Sud
En juin 2022, Kyo, étudiant expatrié à Suwon (à 1 h de Séoul), parle de ces fameux regards. L'étudiant est Noir et témoigne avec humour sur « Kyo en Corée », sa chaîne YouTube : « Soyez prêts à être regardés. […] Vous ne passez pas inaperçus ». Une situation que l'étudiant juge « normale », car il y a peu de Noirs en Corée du Sud. Certains Coréens n'ont encore jamais vu de Noirs ; d'autres voyagent essentiellement dans les pays limitrophes, où, là encore, il y a peu de Noirs.
Kyo voit des avantages et des désavantages à cette situation. Côté avantages, il affirme avoir facilement pu nouer des contacts avec des Coréens. Certains viennent lui parler justement parce qu'il est Noir. Curieux, ils cherchent à connaître son histoire. D'autres veulent au départ juste parfaire leur anglais. Les discussions débouchent sur une véritable amitié. Mais dans le côté « moins drôle », relève Kyo, « il y a des personnes qui peuvent vraiment vous voir comme une « espèce rare ». Y'en a qui vont avoir de la défiance […], car comme la couleur de peau est « nouvelle pour eux » les gens ne vont pas savoir comment t'approcher, comment se comporter avec toi… ». Mais l'expatrié insiste : il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac.
Kyo ne cache pas avoir vécu quelques moments gênants (une personne qui change de trottoir pour éviter de le croiser, d'autres qui s'approchent pour le photographier…). Néanmoins, il relativise : « Je n'ai jamais vécu de scène de racisme […] c'est juste des moments gênants, inconfortables, qui peuvent te mettre mal à l'aise. » Il rappelle que bien des intentions peuvent se cacher derrière un regard, une parole ou un refus de parler. Tout n'est pas à mettre sur la couleur de peau. Pour Kyo, certains Coréens « ne viennent pas te voir, car ils sont timides ». D'autres évitent la conversation « car tu es un garçon… ». D'autres encore viennent justement te voir parce que tu viens d'un autre pays. Kyo est Français et se rappelle avoir échangé avec beaucoup de Coréens justement parce qu'il est Français : « Ils me voient comme Français, Européen… ». Pour l'étudiant, la peur du regard de l'autre ne doit pas freiner l'envie d'expatriation, au contraire. Il rappelle que chaque situation s'examine « au cas par cas ».
L'Arabie saoudite tente l'ouverture
Bientôt 3 millions de visiteurs chinois en Arabie saoudite. C'est le résultat du rapprochement entre la Chine et l'Arabie saoudite. Une convention bilatérale facilite désormais le voyage des ressortissants chinois en Arabie saoudite. En juin 2023, les deux pays ont confirmé leur rapprochement via des accords d'investissement de 8 milliards de dollars entre les entreprises saoudiennes et chinoises. À Riyad, des établissements scolaires et des universités proposent des cours de chinois. Les établissements font directement appel à des professionnels chinois pour dispenser les cours. C'est encore une manière de renforcer les relations entre les deux pays.
Difficile d'obtenir des témoignages des expatriés concernés. Officiellement, tout se passe toujours pour le mieux. En pratique, on peut facilement imaginer que ces rencontres entre individus d'origines différentes suscitent une curiosité. Les Chinois restent très peu nombreux en Arabie saoudite. Là encore, le fait de ne pas correspondre « aux standards » du pays d'accueil peut faire naître des regards, parfois plus ou moins insistants. Des regards qui, bien entendu, ne sont pas forcément hostiles, quand bien même ils seraient insistants.
Chine, témoignage en demi-teinte
En 2021, Élisabeth obtient un bachelor Administration des affaires à l'université de Yichang, en Chine. En août de la même année, elle témoigne devant Danny Matendo, créateur de la chaîne YouTube Experiences Abroad. Arrivée en Chine en 2016, elle parle d'une situation compliquée, car « il n'y'avait pas beaucoup de Noirs à Yichang ; ils n'étaient pas habitués ». Pour Élisabeth, « le racisme existe en Chine. Ça dépend des régions et des villes ». Et la jeune femme de raconter comment, alors qu'elle se remaquillait dans les toilettes d'un parc avec une amie, une Chinoise arriva et hurla en les voyant. « On était choquées. Elle nous a donné ce sentiment qu'elle a vu des monstres. […] On s'est senties humiliées, insultées. On était tétanisées. On ne savait même pas comment réagir. On avait peur et elle aussi, elle avait peur. On ne voulait pas lui faire encore plus peur avec un comportement déplacé. Elle a fini de crier. On l'a regardée. Elle est partie. » Si elle devait revivre l'expérience, Élisabeth crierait aussi, pour « lui montrer qu'elle me fait peur. »
Davantage de discriminations depuis la crise sanitaire ?
D'après Élisabeth, la situation a empiré depuis la Covid. À son arrivée dans le pays, elle ne s'attendait pas à être confrontée à ce racisme. L'expatriée concède de bonnes expériences avec les locaux, mais des expériences rares. Pour elle, « beaucoup de Chinois ont des idées arriérées sur les Noirs, sur le continent africain […] ». Certains l'interrogent par simple curiosité. D'autres ont des arrière-pensées. Son université elle-même applique une différence de traitement. Élisabeth explique : « À l'université, ils ne nous mélangent pas avec les Chinois pour les activités. » Élue « Miss » de son université, elle sait que son élection n'a rien changé auprès des étudiants chinois. « Ils ne savent même pas que je suis la Miss de cette université. » Ils n'étaient d'ailleurs pas présents durant l'élection de Miss, réservée aux étudiants étrangers.
La diplômée se montre cependant optimiste et rappelle que s'il y a des racistes en Chine, ils ne constituent évidemment pas la totalité de la population. Elle revient sur ses bonnes expériences, parle de ses amis chinois, de la culture du pays… avant de replacer son témoignage dans son contexte. D'autres expatriés auront un discours différent, nourri par leurs expériences. Raison pour laquelle elle conseille de tenter soi-même l'expatriation en Chine pour se faire son avis.
Expatriation en Asie : le regard de l'autre et le regard sur soi
On pourrait multiplier les témoignages et, par exemple, parler de cette immigrée blanche travaillant à Tokyo qui, en 2016, raconte avoir vécu « son premier cas de racisme ». Alors qu'elle est dans le métro, les portes s'ouvrent. Un Japonais entre et, la voyant, ressort de la rame pour monter plus loin. Et la salariée de dire : « Ça ne m'était jamais arrivé, en tant que Blanche ». On pourrait aussi parler de ce salarié noir travaillant depuis plusieurs années à Osaka, qui se sent parfaitement à l'aise dans son environnement. Il ne se pose plus la question des regards. Beaucoup ont d'ailleurs disparu, et pas seulement dans les grandes villes, les quartiers cosmopolites. Les coins de campagne réservent aussi leurs heureuses surprises. On est parfois étonné de constater avec quel entrain ces locaux accueillent les arrivants étrangers. Le salarié d'Osaka, parfaitement quadrilingue (il parle swahili, japonais, anglais et français), s'intéresse plutôt aux relations qu'il a pu nouer avec les locaux. Des relations privilégiées, des amitiés solides avec les Japonais et les étrangers. Même conclusion pour nombre d'étrangers immigrés dans un pays asiatique. Ils retiennent la richesse des liens tissés avec la population locale et insistent sur le nécessaire échange.
Échange et partage
Tous les témoignages insistent sur ces interactions indispensables. La découverte se fait dans les deux sens et pourra déboucher sur de véritables liens. Car les regards vont dans les deux sens. Avant de se sentir observé par tous, il faudrait se rappeler que l'expatrié lui-même regarde beaucoup les autres.
Une expatriation dans une grande ville touristique n'épargne pas des regards… À contrario, ils ne seront pas forcément omniprésents dans les contrées plus éloignées. Partir vivre dans une terre d'immigration ou non, être le « seul représentant de son ethnie » ou non… Les regards existent même sur les traditionnelles terres d'immigration. Il suffit parfois d'aller dans la bourgade d'à côté pour devenir « le seul étranger du coin » et attirer toutes sortes de regards. Des regards qui peuvent d'ailleurs se méprendre, car qualifiant « d'étrangers » des personnes qui ont leur nationalité…
Mais il arrive aussi que le rejet, le racisme, se cache derrière des regards hostiles. Il faut en être conscient, quel que soit le pays dans lequel on se trouve. Une conscience qui ne conduit pas à la défiance, mais plutôt à la réflexion et à la prise de recul pour bien vivre son expatriation. Car on peut devenir malgré soi « le seul étranger du coin » et donc le « seul représentant de son groupe ». On ne changera pas tous les regards. Mais des regards peuvent changer au fur et à mesure du temps et des intractions, pour la création de véritables liens, non fondés sur les a priori, mais sur ce qu'on apprendra de l'autre. Au final, toutes ces interactions appellent à l'humilité et amènent à poser un nouveau regard sur soi. Un cercle que l'on espère vertueux, pour que le pays étranger devienne le nouveau chez soi.