Élections dans le monde : quel impact sur les flux d'expatriation ?

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Publié le 2024-06-25 à 10:00 par Asaël Häzaq
Les candidats à l'expatriation scrutent les réformes de l'immigration des États demandeurs de main-d'œuvre. Ils observent aussi avec attention l'ambiance de leur futur pays. Les élections anticipées révèlent les crises sociopolitiques auxquelles font face ces pays. De quoi influer sur leurs projets d'expatriation ? Tour d'horizon des destinations les plus populaires.

France

En France, des politiques de gauche et de droite modérée s'inquiètent de l'image de la France à l'international. Le « pays des droits de l'homme » serait aux portes de l'implosion. Déjà distancée par les populaires États-Unis, Canada et Australie, la France pourrait encore perdre en attractivité auprès des candidats à l'expatriation. L'on craint surtout ici une arrivée d'un gouvernement d'extrême droite, qui pourrait modifier la loi sur l'immigration. Qu'en pensent les concernés ? La voix des candidats à l'expatriation en France est encore peu relayée.

On note néanmoins une crainte de voir les procédures de visa rallongées, voire complexifiées. On entend davantage la voix de Français qui se disent déterminés à partir en cas de « basculement » politique. Deux camps s'opposent : les opposants au parti d'extrême droite Rassemblement national (RN), grand vainqueur des élections européennes, et les opposants au parti d'extrême gauche LFI (La France insoumise), membre du Nouveau Front Populaire formé par les partis de gauche en vue de gagner les législatives anticipées.

Ces Français prêts à s'expatrier en cas d'un « basculement » politique

Samedi 15 juin, les syndicats français ont appelé à une grande mobilisation contre le RN. La police a compté 250 000 manifestants. Le syndicat CGT (Confédération générale du travail), qui avait appelé à la mobilisation avec d'autres syndicats, en a dénombré plus de 600 000. Parmi les manifestants, de futurs expatriés en cas de victoire du RN. Pour les candidats à l'expatriation, la stratégie de « dédiabolisation » lancée par le parti ne fonctionne pas. Ils prédisent « la fin de la République » et la naissance d'un « pays fasciste ». Pour eux, un gouvernement RN entraînera une montée des discriminations. Mêmes craintes de la communauté LGBTQIA+, qui redoute une suppression de ses droits (mariage pour tous, PMA pour toutes…), et une augmentation des violences homophobes et anti-LGBT.

LFI suscite également des craintes, pour d'autres raisons. C'est surtout la personnalité de son leader, Jean-Luc Mélanchon, qui divise. Ces prises de position concernant la guerre Israël-Hamas passent mal auprès d'une partie de la population. Certains Français, pourtant de gauche, affirment qu'ils ne soutiendront pas un gouvernement mené par Mélanchon. Ils préfèrent vivre dans un autre pays européen, comme la Belgique, l'Espagne ou l'Allemagne. Mais qu'ils soient contre LFI ou le RN, les Français qui envisagent de s'expatrier se raccrochent surtout aux résultats des législatives. Beaucoup indiquent qu'ils ne prendront aucune décision (pas même anticiper en se renseignant sur un pays d'expatriation) avant les résultats définitifs du vote.

Les voix des Français de l'étranger

Quant aux Français de l'étranger, qui avaient majoritairement voté Macron en 2017 et 2022, ils ne sont pas pressés de rentrer en France. Ils ne comprennent toujours pas l'acte du président, et s'alarment du « virage dangereux » pris par le pays. On voit aussi émerger un autre courant, minoritaire, mais qui fait parler de lui : les Français de l'étranger votant pour l'extrême droite. Parmi eux, des expatriés de longue date, qui tiennent à l'appellation « expatrié » (au lieu « d'immigré ») et affirment être « Français avant tout ». Ils militent pour une union du RN avec les partis de droite modérée. Qu'ils envisagent de rentrer en France ou non, ils disent lutter pour la préservation de « l'identité française ».

Espagne

Les craintes sont bien moins présentes en Espagne, qui figure toujours parmi les pays phares des expatriés. Ils vantent sa qualité de vie et son climat. Les retraités étrangers y coulent des jours heureux, les actifs goûtent aux joies du nomadisme numérique. Le résultat des élections régionales anticipées en Catalogne ne risque pas d'influer sur les intentions des candidats à l'expatriation. Depuis la crise sanitaire, le nombre d'expatriés a bondi en Espagne, surtout dans les centres touristiques. Barcelone enregistre l'une des plus fortes hausses, avec 10 % d'expatriés, selon les estimations de la mairie. Les Italiens constituent la première communauté d'étrangers, devant les Français.

L'État espagnol est tiraillé entre la grogne des locaux, qui protestent contre l'explosion du coût de la vie, et la manne que représentent les travailleurs étrangers. En 2023, 42 % des emplois en Espagne étaient détenus par des étrangers. Un bon point pour le gouvernement, qui se félicite de son marché du travail attractif. Mais de l'autre côté, les travailleurs espagnols sont toujours plus nombreux à quitter le pays. Ils dénoncent un manque d'opportunités en Espagne et préfèrent immigrer aux États-Unis ou dans un autre pays européen. Ils regrettent également un marché du travail opaque, où la méritocratie serait vaincue par le clientélisme.

Royaume-Uni 

Les « Bregret » (contraction de « Brexit » et de « regret ») donnent de la voix. À quelques semaines des législatives anticipées, ils ne se remettent toujours pas de la sortie du Royaume-Uni de l'UE. Les Britanniques de l'étranger ou qui le sont devenus pour ne pas perdre leur nationalité européenne appellent toujours à un retour en arrière, ou plutôt à un nouveau traité pour ramener le royaume dans l'UE.

Si un référendum n'est pas à l'ordre du jour, de nombreux anti-Brexit sentent que le climat social forcera un nouveau débat sur la question « tôt ou tard ». Ils évoquent une ambiance délétère depuis le Brexit, qui a fortement divisé la population. Le mea-culpa des porteurs du Brexit leur laisse encore un goût amer. Une amertume particulièrement visible chez les jeunes, qui avaient majoritairement voté contre la sortie du Royaume-Uni de l'UE. Certains parlent d'un « avenir gâché » à cause du Brexit. L'impact négatif du Brexit, confirmé par de nombreuses études, a également touché les anciens Brexiters. Devant l'explosion du coût de la vie, les difficultés de l'emploi et la montée de l'immigration, ils se montrent très critiques envers le camp conservateur (malgré les nombreuses mesures de durcissement des règles de l'immigration. Reste à évaluer l'ampleur de cette désaffection et le résultat dans les urnes.

En revanche, il n'est pas question de s'expatrier en cas de victoire d'un camp ou d'un autre. Le « séisme » amené par la récente percée de l'extrême droite dans les sondages n'amène pas les électeurs à envisager de quitter le pays.

Algérie

L'Algérie déroule le tapis rouge à ses ressortissants expatriés et aux touristes étrangers. Le pays compte bien capitaliser sur les Présidentielles anticipées pour gagner des points auprès de sa diaspora. Les quelque 7 millions d'Algériens de l'étranger sont appelés aux urnes le 7 septembre.

Seront-ils tout aussi nombreux à « soutenir la patrie », quels que soient les résultats des présidentielles ? Certains critiques relativisent l'importance du soutien des expatriés algériens, en soulignant le montant de leur contribution au pays, qu'ils jugent faible. D'après la Banque mondiale, les transferts de fonds des Algériens de l'étranger vers l'Algérie sont effectivement en baisse. 1,8 milliard de dollars en 2022, soit 100 millions de dollars de moins qu'en 2021.

Les Algériens de l'étranger restent pourtant de grands contributeurs à la richesse du pays. Ils dénoncent le double discours de l'État, qui ne les incite pas à soutenir le pays, encore moins à revenir y vivre. L'État se tourne vers les touristes étrangers pour développer son économie. Car l'Algérie est à la traine, loin derrière le Maroc et la Tunisie. Les deux pays enregistrent d'ailleurs un nombre plus élevé d'expatriés. Le pouvoir entend attirer 12 millions d'étrangers d'ici 2030. Il s'engage à accroître ses investissements dans l'économie touristique et à faciliter l'obtention du visa. Mais les mesures pourraient ne pas suffire pour concurrencer le Maroc et la Tunisie : les deux pays délivrent des exemptions de visa pour un grand nombre de nationalités.

Vague d'émigration/immigration attendue aux États-Unis

Depuis l'électrochoc de 2016 et l'arrivée de Donald Trump au pouvoir, un plus grand nombre d'Américains décide de s'expatrier. Si les paroles ne sont pas toujours suivies des actes, certains pays, comme la Nouvelle-Zélande, constatent une augmentation du nombre d'immigrés américains. La Présidentielle de novembre 2024 rappelle justement les inquiétudes de 2016. Depuis le début de la campagne, des Américains annoncent leur intention de quitter le pays en cas de victoire de Trump. Beaucoup n'ont pas attendu le retour de Trump sur le devant de la scène politique. Selon les statistiques officielles de la Nouvelle-Zélande, 6000 Américains ont immigré dans le pays entre 2022 et 2023. Ils vantent l'art de vivre du pays, même s'ils s'inquiètent de l'influence des conservateurs depuis leur victoire sur les travaillistes. D'autres ressortissants américains choisissent l'Espagne ou la France, moins pour le cadre politique que pour le cadre de vie. Reste à savoir si la montée de l'extrême droite (en France) changera les projets des Américains.

En revanche, le « rêve américain » a de fortes chances de continuer à motiver les candidats à l'expatriation, qu'importe le résultat des présidentielles. Certes, un retour de Trump au pouvoir fait craindre de nouveaux tours de vis sur les règles d'immigration. Le rêve américain coûte déjà très cher, avec des procédures d'immigration complexes, pour des statuts pas toujours très protecteurs. Décrocher un visa de travail reste un parcours du combattant. Mais les futurs expatriés restent convaincus de pouvoir améliorer leurs conditions de vie aux États-Unis. D'après l'Office fédéral allemand des statistiques, les États-Unis sont le 3e État le plus important pour les immigrés allemands, malgré des conditions de travail jugées plus dures qu'en Allemagne.

Quand le travail à distance transforme l'expatriation

Le travail à distance s'invite dans l'équation. La progression de cette nouvelle forme de travail a bouleversé l'organisation des entreprises. Certaines ont définitivement tourné le dos au bureau, pour n'exister que de manière « dématérialisée » aux quatre coins du monde. D'autres sociétés se sont justement créées pour accompagner les entreprises souhaitant se lancer dans l'organisation du travail à distance, partiellement ou à 100 %. C'est une solution choisie par un nombre croissant d'expatriés. Parmi eux, les adeptes du workation. Plutôt que d'immigrer dans l'État où se trouve leur entreprise, ils préfèrent résider dans un autre pays tout en continuant de travailler à distance.

D'autres ne s'engagent plus dans de longues expatriations et profitent des nouvelles pratiques des entreprises en matière de travail à distance. Certaines permettent en effet de télétravailler depuis l'étranger plusieurs semaines par an. Une forme de « mini expatriation » qui séduit les travailleurs. Ils estiment qu'ils bénéficient de tous les avantages du travail à distance (nouveau cadre de vie, dépaysement, « esprit vacances ») tout en évitant les désagréments de la préparation à l'expatriation (formalités de visa, coût financier, temps d'attente…).