Quel avenir pour les études à l'étranger face aux nouvelles restrictions ?

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  • université de Cambridge, Angleterre
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Écris par Asaël Häzaq le 17 juillet, 2024
Les étudiants devront-ils bientôt tirer un trait sur les études à l'étranger ? Dans leur volonté de rationaliser l'immigration, les destinations prisées des expats prennent des mesures qui rendent les projets d'expatriation plus difficiles. Comment les restrictions de visa et les hausses de frais impactent-elles les universités et l'enseignement ? Comment envisager d'étudier à l'étranger dans ce contexte ?
 

L'expatriation des étudiants contrariée par les réformes migratoires

Les universités seront-elles bientôt privées de leurs étudiants étrangers ? Au Royaume-Uni, en Australie, en Suède, au Canada, en France ou en Belgique (qui opte pour une réforme plus souple pour les talents, plus stricte pour les expatriés non diplômés/qualifiés), les nouvelles lois sur l'immigration amènent davantage de restrictions, qui impactent les projets d'expatriation des étudiants internationaux. L'image même de ces pays est affectée. Ils apparaissent moins ouverts : c'est justement ce qu'ils recherchent, pour attirer moins d'étudiants étrangers.

Les universités de ces pays continuent néanmoins de briller à l'international et de mettre en avant leur prestige. Pas question pour elles de reculer, surtout dans un monde toujours plus innovant et compétitif. Mais les réformes portent un sérieux coup à leurs ambitions, et dérèglent leur organisation. Car le prestige a un prix que les États ne semblent plus vouloir payer. D'autres (Émirats arabes unis, Corée du Sud, Japon…) en profitent pour attirer les étudiants déçus des réformes des grands pays d'immigration. Zoom sur le Canada et point sur la crise universitaire au Royaume-Uni et en Australie.

Canada : remettre de l'ordre pour mieux accueillir les étudiants étrangers

Certes, le Canada continue et continuera d'être une grande terre d'immigration. Le pays veut toujours attirer les étrangers, essentiels au maintien de sa croissance économique et démographique. Mais ses dernières réformes portent un sérieux cout à son image. 2024 s'est ouvert avec un plafonnement du nombre d'étudiants étrangers. Un plafonnement « temporaire » (2 ans) rassure le ministre de l'Immigration Marc Miller, qui refuse (à l'inverse de son prédécesseur Sean Fraser) de rendre les étudiants étrangers responsables de la crise du logement. En août 2023, Fraser, passé ministre du Logement, affirmait que les étrangers aggravaient la crise du logement. Une affirmation aussitôt combattue par Miller. 

Le ministre compte sur la réduction du nombre d'étudiants (-35 % selon les estimations) pour renforcer l'accueil des étrangers et lutter contre les dérives. Un certain nombre d'universités peu scrupuleuses sont dans le viseur de l'État. Leur délit : elles prélèvent des frais de scolarité exorbitants, mais sans offrir un enseignement de qualité aux étudiants étrangers. Elles contournent les programmes pour les étudiants étrangers et délivrent des diplômes « fictifs » (les enseignements de mauvaise qualité ne permettant pas d'acquérir de solides compétences). C'est ce système parallèle qu'entend combattre le gouvernement. 

Royaume-Uni : des restrictions qui plongent les universités dans le rouge

Le Brexit a porté un coup sévère aux projets des étudiants étrangers, surtout européens. Leur nombre a chuté dès l'officialisation de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne (UE). L'inflation et surtout les multiples réformes des conservateurs ont augmenté les restrictions pour les étudiants étrangers. Étudier à l'étranger n'a jamais été aussi compliqué.

L'année 2024 a commencé avec de nouveaux tours de vis signés Sunak (alors encore Premier ministre) : hausse des frais de visa, de la surcharge de taxe de santé, des frais de scolarité, restrictions concernant le permis de travail, etc. Les universités observent, inquiètes, la chute du nombre de leurs étudiants étrangers. Rien qu'au premier trimestre 2024, elles comptent 30 000 demandes de visas en moins, par rapport à la même période en 2023. En 2022, elles constataient déjà une baisse de 50 % du nombre d'étudiants européens (conséquence directe du Brexit). Elles sont désormais confrontées à une baisse significative du nombre d'étudiants non européens.

40 % des universités britanniques en déficit

Les universités redoutent une fuite des cerveaux vers d'autres destinations prisées par les expatriés : États-Unis et Canada en tête. Véritables « poules aux œufs d'or », les étudiants étrangers paient des frais de scolarité deux à trois fois plus élevés que les Britanniques : entre 10 000 et plus de 35 000 livres sterling par an (selon l'année, l'université et le cursus), contre à peine 9 250 livres sterling par an pour un local. Le prix, encadré par l'État, n'a pas bougé depuis 2012, alors que celui payé par les étudiants étrangers a explosé. 

Or, moins d'étudiants étrangers, c'est moins d'argent pour les universités. Pour renflouer rapidement les caisses, des universités choisissent d'accueillir plus d'expatriés, quitte à baisser le niveau exigé. C'est le choix de l'université d'York, membre du prestigieux Russel Group (qui regroupe les 24 plus grands établissements britanniques). Elles se tourneraient bien vers l'État, mais ce dernier ne cesse de réduire le budget consacré à l'enseignement supérieur. Les financements des étudiants étrangers représentent aujourd'hui environ 20 % des recettes des universités. C'est deux fois plus qu'en 2014.

Les problèmes financiers des universités impactent directement leur fonctionnement, la qualité de leurs infrastructures (bâtiments vétustes, manque de place, outils informatiques obsolètes, etc.) et de leur enseignement. C'est le cas de l'Université de Northampton, qui prévoit un déficit de 19,3 millions de livres sterling pour cette année.  Northampton compte « 40 à 50 % » d'étudiants internationaux en moins. Cette année, 40 % des universités britanniques devraient traverser un déficit similaire à celui de Northampton.

Faut-il craindre une baisse de la qualité de l'enseignement ? 

« Double zéro ». C'est la note sévère des analystes, qui appellent à une profonde réflexion sur le financement des universités. « Double zéro » pour l'État, qui, selon les détracteurs, fermerait les yeux sur un problème connu de longue date tout en continuant de durcir les règles de l'immigration. De leur côté, les universités disent avoir tout fait pour alerter l'État. Les étudiants étrangers sont les premiers à en payer les conséquences, tant sur le plan financier qu'au niveau de la qualité de l'enseignement. 

Étudiants étrangers et locaux parlent d'un enseignement dont la qualité se dégrade. Réduction de personnel, fermeture de services, voire de départements entiers, classes surpeuplées, réductions des heures de cours, augmentation des cours en ligne préenregistrés. Si la solution s'entendait pendant la pandémie, elle se justifie moins aujourd'hui. Les prestigieuses universités d'Oxford, de Cambridge ou de Birmingham ne sont pas épargnées.

Australie : une baisse du nombre d'étudiants étrangers qui plombe les finances des universités

Les universités australiennes font aussi face à une chute du nombre de leurs étudiants étrangers. En février 2024, on compte 20 % de visas en moins délivrés aux étudiants expatriés. Le chiffre est inédit, et le gouvernement s'en félicite. Poursuivant son objectif de baisse de l'immigration nette, l'État poursuit sa politique restrictive pour diminuer encore plus le nombre d'étudiants étrangers. Parmi ces dernières mesures, la fin du visa hopping, l'augmentation du revenu minimum pour demander le visa étudiant, ou encore, la complexification des tests pour l'obtention du visa, plafonnement du nombre d'étudiants étrangers…

Tout comme au Royaume-Uni, la stratégie migratoire de l'Australie impacte fortement les universités et les régions. Car les facs australiennes aussi renflouent leur caisse grâce à la manne financière des étudiants étrangers. En 2019, ils sont 440 000 à étudier en Australie.  Ils sont 768 000 inscrits en octobre 2023. L'Australie est l'un des pays au monde accueillant le plus d'étudiants expatriés. Seuls les États-Unis et le Royaume-Uni la devancent. Certaines universités, comme celle de Sydney, comptent 50 % d'étudiants étrangers. 

Les analystes précisent que ce n'est pas le chiffre qui pose problème, mais bien le mode de financement des universités, basé sur les frais de scolarité exorbitants payés par les étudiants étrangers. Confère la pandémie, qui a empêché les expatriés de voyager. Comme au Royaume-Uni, l'État investit très peu dans l'enseignement supérieur australien. Les conséquences de ce désinvestissement dépassent largement le cadre des universités. À Victoria, 2e État le plus peuplé d'Australie, c'est toute l'économie qui est touchée. Selon une étude de SPP Consulting pour l'Université de Melbourne et l'Université Monash, les universités publiques contribuent pour 27,4 milliards de dollars aux richesses de l'État. Universités qui dépendent de plus en plus des frais de scolarité élevés payés par les étrangers pour se financer. Les étudiants expatriés et les personnels universitaires redistribuent encore 15,4 milliards de dollars via leurs dépenses (loyer, alimentation, etc.). Selon l'étude, la baisse du nombre d'étudiants étrangers a des conséquences directes sur la croissance de Victoria.

Entreprises et universités en crise 

Les entreprises, surtout celles confrontées aux pénuries de main-d'œuvre, disent également souffrir des restrictions imposées par le gouvernement. Or, le gouvernement dit justement réformer sa politique migratoire pour mieux orienter les diplômés étrangers vers les secteurs en pénurie de main-d'œuvre. D'après les analystes, la baisse du nombre d'étudiants étrangers entrainerait la fermeture de services, non seulement dans les universités, mais aussi au sein des États. Ils alertent également sur une potentielle fuite des cerveaux, une dégradation de l'image des universités australiennes, un manque de soutien des entreprises et une perte de vitesse en matière de recherche et d'innovation. 

La récente suppression du visa hopping est un nouveau coup dur pour les universités australiennes. Pour rappel, le visa hopping permettait aux étrangers venus avec un visa de visiteur de demander un visa étudiant. Le gouvernement australien compte 36 000 demandes de visa entre le 1er juillet 2023 et le 31 mai 2024 et dénonce un parcours « non conforme » qui entrainerait de nombreuses dérives. « Propos invérifiables », contestent les universités et les écoles de langues. Elles rappellent que de nombreux étudiants utilisent justement le système pour s'assurer de leur choix et/ou perfectionner leur anglais. Les écoles d'anglais se montrent particulièrement inquiètes, car fonctionnant justement grâce aux étrangers (étudiants, pvtistes, visiteurs…). Des établissements rapportent ainsi que les étrangers constituent 90 à 95 % de leurs étudiants.

Étudier à l'étranger en 2024 

Bien entendu, l'expatriation des étudiants continuera. La migration internationale reste l'un des moteurs de la croissance des États. Les récentes élections au Royaume-Uni et en France changeront-elles la donne ? En France, la victoire surprise de l'union de gauche crée l'espoir chez les étudiants étrangers. La gauche a déjà annoncé qu'elle abrogerait la réforme controversée votée en janvier 2024, qui durcit les règles de l'immigration. 

Même espoir des étudiants concernant la victoire écrasante des travaillistes. Mais le nouveau Premier ministre Keir Starmer, pourtant Européen convaincu (il avait voté contre la sortie du Royaume-Uni de l'UE), a prévenu qu'il ne reviendrait pas sur le Brexit. En revanche, il espère « renforcer » et « resserrer » les liens avec Bruxelles. Les candidats à l'expatriation veulent y voir un signe d'assouplissement. Les universités attendent également des mesures fortes pour juguler la crise. En Australie, les universités continuent d'alerter le gouvernement : son obsession pour la réduction de l'immigration nette coutera des points de croissance. Les étudiants étrangers, grands contributeurs des économies locales, iront étudier ailleurs. La perte ne se situe pas seulement sur le strict plan de l'économie à court terme, mais aussi sur les perspectives de croissance à long terme. Car les étudiants qui optent pour d'autres pays ne risquent pas de revenir.

Les nouvelles destinations des étudiants étrangers 

Capter les étudiants déçus des réformes des grandes terres d'immigration : c'est l'objectif des Émirats arabes unis (EAU). Le pays star des travailleurs expatriés veut devenir une nouvelle destination phare pour les étudiants internationaux. Le pays a ouvert son Golden Visa aux étudiants pour attirer les talents. 

La Corée du Sud et le Japon partagent des ambitions similaires et une difficulté : la barrière de la langue. Les deux pays veulent accueillir 300 000 étudiants étrangers d'ici 2027. Une réforme sud-coréenne propose d'abaisser le niveau de langue requis pour faciliter l'entrée des étrangers. Mais la proposition passe mal auprès des universitaires, pour qui la maitrise du coréen doit rester un prérequis. Ils rappellent que baisser le niveau impactera la qualité de l'enseignement et ne favorisera pas l'intégration des étudiants. Le Japon maintient son système. Si les grandes universités sont de plus en plus nombreuses à proposer des programmes en anglais, elles rappellent aussi l'importance d'apprendre le japonais. 

La captation des étudiants (et surtout des « meilleurs » étudiants) reste l'un des défis majeurs des États. Les universités hongkongaises multiplient les efforts pour attirer les étudiants étrangers et renouer avec leur rayonnement international. Elles espèrent également rééquilibrer la donne, car l'influence grandissante de la Chine continentale se voit aussi dans l'enseignement supérieur, avec une hausse notable du nombre des étudiants chinois. Ils représenteraient aujourd'hui 50 à 70 % du nombre d'étudiants expatriés. Les universités veulent attirer davantage d'étudiants venant d'autres pays, et se tournent notamment vers l'Inde.