Rentrer au pays n'est pas toujours aussi simple qu'il le semble, surtout si vous avez vécu plusieurs années à l’étranger. Vous pourriez vous sentir différent, voire dépaysé face aux changements qu'a connu votre pays d'origine, tant sur le plan physique que social. Après plusieurs années passées en Turquie, Virginie, jeune française, parle à Expat.com du contre-choc culturel dont elle a fait l’expérience à son retour en France.
J'avais toujours pensé que c'était au tournant du terminal “Départs” de Roissy que guettait le dépaysement, mais c'est pourtant mon retour dans ma France natale après plusieurs années passées à Istanbul qui s'est révélé le plus prodigue de surprises.
Points de repères évanouis, souvenirs périmés, relations à réécrire, sentiment général de décalage : autant de symptômes d'un phénomène dit de “contre-choc culturel”, par lequel un séjour prolongé dans une culture différente inverse les pôles du familier et de l'étranger, amenant à se sentir étranger dans son propre pays.
Chers inconnus
Le choc le plus immédiat a été pour moi celui des retrouvailles avec mes proches : ceux qui ne sont jamais partis, ceux qui sont déjà revenus, ceux qu'un vent heureux amène à faire escale à Paris entre deux missions; ceux avec qui j'étais restée en contact étroit, et ceux, plus nombreux dans mon cas, avec lesquels il faut passer par l'étape un tantinet laborieuse du “Quoi de neuf depuis trois ans?”.
Ce qui amène son lot de réajustements et de surprises : unetelle a tout plaqué pour s'engager dans le mouvement LGBT, et untel en politique; chez beaucoup, le mot “crèche” est devenu un véritable leitmotiv.
Sans parler des changements plus insidieux, ceux qui sont difficiles à pointer, mais qui n'en ont pas moins amené d'anciens compagnons de route à suivre des caps tout différents, mus par des valeurs et aspirations nouvelles.
Si bien que dans certains cas, il s'agit davantage de rencontres que de retrouvailles à proprement parler. Il faut apprendre à connaître ces étrangers au visage pourtant si familier, et sonder avec tact leurs opinions et leur vision du monde
Quoiqu'il y ait presque inévitablement de la casse, des fêlures tout du moins, ce processus de ré-apprivoisement permet de porter sur les autres un regard neuf, dépoussiéré du poids d'impressions fossiles, et offre l'occasion de refaire, sur des bases plus lucides, le choix d'être liés.
On n'arrête pas le progrès
Même constat de glissements dans mon environnement parisien, tant physique que social.
Bien des choses m'ont certes attendue imperturbablement : les vieilles pierres n'ont rien perdu de leur superbe un peu revêche, on se presse toujours épaule contre épaule le long du Canal Saint-Martin et nez contre aisselle dans les rames de la ligne 13, et la recette du jambon-beurre me semble avoir été préservée de manière raisonnablement fidèle.
Mais nombre d'autres dissonent avec le souvenir que j'avais de ma ville. Nouvelles devantures (à croire que le Tout-Paris est devenu suédois et vegan), nouvelles modes vestimentaires (les étés parisiens peuvent certes être frisquets, mais claquettes-chaussettes en tant que comble du hype, sérieusement ?), autant de détails qui peuvent sembler anecdotiques mais qui ont en réalité exigé de ma part un certain temps d'adaptation. Le temps de juxtaposer et de fusionner l'image mentale, sans doute un peu idéalisée avec la distance, avec la présence physique et réelle des choses.
Les retrouvailles se font aussi, et c'est tout sauf anodin, avec le français, cette langue maternelle si intime, complice de toujours, mais qui prend tout à coup en bouche une viscosité nouvelle après des mois passés sans guère la prononcer.
Sans mentionner le fait que la langue française elle-même a évolué, se parant d'expressions nouvelles, au JT comme dans la rue. Et qu'il me faudra vraisemblablement un paquet d'années avant de pouvoir écrire “ognon” sans avoir le sentiment de trahir Baudelaire et Mallarmé.
Question d'habitus
Ce décalage diffus d'avec ma culture, ma ville, mes amis, je ne saurais, en toute honnêteté, l'attribuer à une dizaine de néologismes ou au changement de propriétaire de l'épicerie du coin. Impossible de nier que j'ai moi aussi changé, et ce davantage que je ne le réalisais jusqu'alors.
Puisque l'on se définit par rapport à son environnement, un séjour prolongé chez l'autre induit inévitablement une altération du savoir-être et de l'attitude. Ce qui se traduit par de petits riens : de subtiles modifications dans la démarche ou le port de tête, les habitudes vestimentaires, les modalités de socialisation, les marques de politesse.
De manière plus profonde, cela entraîne aussi une évolution des modes de pensée, refaçonnés sous l'influence de structures linguistiques et cognitives autres, d'un inconscient collectif différent. On apprend à penser différemment. Et c'est là, à mon sens, la véritable racine du contre-choc culturel.
Paris est somme toute égale à elle-même, c'est mon regard sur elle qui a changé. Les normes et coutumes avec lesquelles j'ai grandi détonnent maintenant à mes yeux par leur différence d'avec celles dont j'ai pris l'habitude ailleurs.
Le sentiment de désorientation n'est que transitoire, et s'estompe déjà à vitesse éclair à mesure que je me réinstalle dans ma peau de Parisienne.
Je crois pourtant que je conserverai quelque chose de cet épisode de contre-choc culturel : une conscience accrue de la relativité de toute culture et habitude. Puisqu'il est possible, au prix d'un petit effort de gymnastique mentale, de basculer d'un référentiel culturel et d'une vision du monde à l'autre, c'est bien que nous sommes moins tributaires et captifs de notre héritage culturel que beaucoup de gens ne le pensent, et que changer de points de vue et d'habitudes n'est peut-être pas si insurmontable.