Les Français de l’étranger peuvent enfin pousser un « ouf » de soulagement. Une ordonnance en date du 12 mars 2021 suspend l'obligation qui leur était imposée de fournir un motif impérieux pour être autorisés à rentrer en France. Cette obligation fait suite à une demande formulée par François Barry Delongchamps, Président de l’Union des Français de l’Étranger, au Conseil d’État.
Dorénavant, seuls les Français qui souhaitent se rendre dans les Antilles françaises sont tenus de fournir ces motifs impérieux. Le Conseil d'État a ainsi conclu que l'impact du déplacement des expatriés français vers la France n'est pas si conséquent sur la propagation de la COVID-19. Ce qui signifie qu'exiger un motif impérieux pour justifier un retour en France était « disproportionné ». Pour rappel, un décret en date du 30 janvier 2021 exigeait aux Français qui voulaient rentrer en France de présenter un « motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé ». Une annonce qui, évidemment, a fait des milliers de mécontents.
Nous vous en parlions d'ailleurs, récemment, dans notre article « Interdiction aux Français de rentrer en France : entre frustration et incompréhension ». En effet, Danièle, une Française vivant au Canada, se voit dans l'obligation de rentrer en France pour être aux côtés de sa mère de 98 ans, qui vit seule et qui a besoin d'assistance étant immobile. De retour au Canada après avoir passé quelques mois avec sa mère, elle croyait pouvoir revenir en France, jusqu'à ce que le gouvernement français interdise le retour des Français sauf pour motifs impérieux.
Patrick, Français, s'est également retrouvé dans une impasse avec ce décret. Il avait prévu de se rendre à Cotonou, au Bénin, en mai pour se marier avant de rentrer en France. « J'avais déjà déposé auprès de l'ambassade de France à Cotonou une demande de certificat de capacité à mariage et de notre date de mariage auprès des autorités françaises. D'autre part, j'avais déjà réservé mon vol depuis quelque mois, alors il était tout à fait naturel que je sois angoissé. Je suis vacciné contre la COVID-19 et j'ai déjà réglé les frais de mon test PCR à mon arrivée à Cotonou », confie-t-il.
Cette mesure n'avait pas laissé insensibles les porteurs de la voix des sans voix. En effet, dans notre article « Interdiction aux Français de rentrer en France : ce que cela signifie », Damien Regnard, le Sénateur des Français de l'Étranger, nous a fait part de son profond désaccord. « Interdire, sauf pour motif impérieux, le retour sur le territoire national à un Français - hors espace européen - va à l'encontre des principes même des droits fondamentaux, en plus de se révéler parfaitement inutile voire contre-productif, discriminatoire et injuste ». Il est aussi bon de savoir qu'il n'est pas resté les bras croisés malgré la position qu'il occupe.
Après la diffusion d'une vidéo adressée au Président de la République, il a entamé une mobilisation importante visant à alerter l'opinion publique ainsi que les médias. « Nous avons soutenu les pétitions de nos compatriotes et encouragé le recours de Me Ciric devant le Conseil d'État. Nous avons également saisi le Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères en écrivant au ministre Jean-Yves Le Drian ou encore à Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État chargé des Français de l'étranger ».
Le rôle du Président de l'Union des Français de l'Étranger, François Barry Delongchamps, n'est pas à négliger non plus. C'est d'ailleurs lui, comme nous l'indiquions plus tôt, qui a porté l'affaire devant le Conseil d'État. Rappelons le, cet organisme a pour rôle de défendre l'intérêt des Français et d'assurer la reconnaissance de leurs droits fondamentaux. François Barry Delongchamps nous a livré ses impressions.
Le 29 janvier dernier, le gouvernement Français a annoncé l'obligation pour les Français de fournir un motif impérieux pour rentrer en France. Comment avez-vous pris cette décision ?
Dès que j'ai compris que des « motifs impérieux » devenaient nécessaires pour venir en France, j'ai immédiatement compris que des droits fondamentaux étaient en cause. J'ai ressenti une grande injustice vis à vis des Français de l'étranger qui ont déjà énormément souffert de la pandémie.
Au surplus, la liste de ces « motifs impérieux » me paraissait totalement improbable, mettant en cause la vie privée, obligeant à se justifier devant des compagnies aériennes. On était livré à l'arbitraire, aucune liste précise de motifs n'étant clairement édictée. Les réalités quotidiennes que vivent nos compatriotes étaient allègrement méconnues. Le Ministre chargé des Français de l'étranger n'avait même pas été appelé à contre-signer ce décret.
J'ai souvent été appelé, au cours de ma carrière, à préparer des mesures réglementaires concernant les Français de l'étranger, mais jamais je n'avais rencontré un tel amateurisme.
En tant que Président de l'Union des Français de l'Étranger, quelle a été votre première réaction ?
L'Union des Français de l'Étranger a toujours lutté pour que soient reconnus les droits des Français établis hors de France. Elle a été créée en 1927 pour que les veuves de guerre et les orphelins de guerre à l'étranger bénéficient du même statut qu'en France. Depuis, l'UFE est à l'origine de tous les droits des Français de l'étranger, du droit de vote, au droit à une représentation politique, aux droits sociaux, à l'enseignement. C'est une association d'utilité publique, reconnue comme telle par le gouvernement de Léon Blum en 1936.
Ma première réaction en rapport avec ces prétendus motifs impérieux a été de considérer qu'en mettant des conditions au retour en France de nos ressortissants, le gouvernement portait atteinte à leurs droits civiques fondamentaux.
Vous êtes-vous entretenu avec des expatriés français qui souhaitaient rentrer en France ? Qu'est-ce qui vous a le plus marqué lors de ces échanges ?
Depuis un an, les obstacles au retour en France n'ont pas manqué. Le gouvernement a beaucoup aidé les voyageurs et les touristes à revenir en France. Mais la consigne pour les Français installés à l'étranger a été « restez chez vous », comme s'ils n'étaient pas chez eux en France !
Je suis intervenu au plus haut niveau de l'État pour éveiller la conscience de nos autorités à ce problème. Je ne suis pas sûr d'avoir été entendu.
Vous avez donc choisi de saisir le Conseil d'État contre cette mesure. Quels ont été vos arguments ?
Oui j'ai saisi le Conseil d'État car j'avais compris que, n'étant ni consulté ni entendu, seule la justice pourrait nous donner raison. J'ai consulté des avocats, des compatriotes engagés dans la même démarche, que je salue chaleureusement. J'ai présenté deux sortes d'arguments : la mesure portait atteinte à un droit fondamental « nul ne peut être privé du droit d'entrer sur le territoire de l'État dont il est le ressortissant », qui figure à l'article 3 du Protocole 4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, qui engage la France. Ce droit est absolu, ce qui veut dire qu'il ne peut être soumis à des conditions. Ce droit est respecté par la quasi totalité des pays du monde, la France faisant donc tristement exception.
Nous ne contestons nullement les mesures sanitaires que le gouvernement croit devoir prendre. Mais ce n'est pas en privant de leurs droits civiques une minorité de Français, tout en laissant les frontières terrestres ouvertes et en vaccinant au compte goutte, si je peux me permettre, qu'il peut justifier du traitement imposé aux Français de l'étranger.
Je dois ajouter que ce n'est ni ma vocation personnelle, ni celle de l'UFE de nous confronter aux autorités françaises. J'ai été toute ma vie un serviteur de l'État, notamment comme ambassadeur de France, et l'UFE contribue au rayonnement de la France. J'espère que cet épisode encouragera nos autorités à tenir davantage compte de nos avis.
La démarche a-t-elle été longue ?
Non, nous avons déposé une requête en annulation des mesures en cause à la mi-février, ainsi qu'une requête en référé suspension. Nous avons été reçu le 3 mars en audience, où, je me suis rendu avec nos avocats, et nous avons obtenu une ordonnance de référé le 12 mars.
Comment avez-vous accueilli la suspension de l'application de cette mesure gouvernementale ?
C'est une grande satisfaction de constater que la plus haute juridiction administrative française a suivi notre demande. Il est aussi très heureux de savoir que nos compatriotes du Maghreb, d'Asie, d'Amérique du Nord et du Sud, d'Afrique, peuvent à nouveau venir en France sans avoir à se justifier.
Avez-vous bénéficié d'un soutien quelconque dans cette lutte ?
Naturellement nos compatriotes sont restés un peu sceptiques, car ils sont découragés. C'est bien qu'ils puissent reprendre confiance dans nos institutions.
Quel message avez-vous aujourd'hui pour les Français de l'étranger à l'issu de ce combat ?
Ce n'est pas un combat, mais un débat prévu par notre droit, pacifique, et respectueux des uns et des autres. Les Français de l'étranger aiment leur pays et comptent sur lui. J'imagine que la réciproque est vraie. Mais les preuves d'amour ne sont jamais superflues. Nous attendons maintenant le jugement sur le fond, pour qu'il confirme le droit fondamental des Français à « rentrer chez eux ». Au-delà, j'invite les Français de l'étranger à voter plus nombreux à toutes les élections, pour se faire entendre et peser sur les choix de notre pays.