A l’instar du portrait de Proust, Cécile Lazartigues-Chartier consultante en interculturel invite chaque mois un(e) expatrié(e) à partager son expérience de vie à l’étranger du côté de l’interculturel : surprises, chocs, coups de cœur ou défis. L’invité du mois est Franck Vidal, un expatrié à Singapour.
Pouvez-vous présenter succinctement ?
J'ai la bougeotte : en plus de voyager, j'aime aussi dépenser mon surplus d'énergie dans le sport.
J'ai aussi la chance d'avoir vécu en France, en Finlande, à Londres et à Bangkok.
J'habite à Singapour depuis 2011.
Je vis ma 15e année à l'étranger, dont 14 à travailler dans l'industrie des médias et la publicité.
Le plus important pour la fin : je suis un mari et père de famille comblé.
Quelles sont vos origines géographiques et pourquoi Singapour ?
Je viens de la région parisienne. J'ai effectué mes études supérieures à la Montpellier Business School.
En 2008, je suis parti en VIE à Bangkok pour JCDecaux. Je voyageais alors régulièrement à Singapour dans le cadre de ma mission. Cette ville m'a tout de suite plu. La dynamique du business, le rayonnement sur la zone Asie-Pacifique et donc toutes les perspectives de voyages m'ont séduit. Après 3 ans en Thaïlande, j'ai donc mis le cap sur Singapour.
Votre occupation professionnelle actuelle ?
Je suis en charge d'Adcity pour l'Asie-Pacifique, une entité spécialisée en location marketing du groupe Havas (groupe Vivendi).
Mon poste se définit à travers 2 axes : le développement de la politique commerciale d'Adcity et la transformation digitale des médias traditionnels.
Racontez le début de votre aventure de vie à l'étranger ?
Londres était ma première expérience à l'étranger : un stage d'étude de 3 mois. Ce que j'en retiens ? Peu importe la distance, quand on part à l'étranger, on perd ses repères. Un départ, ça se prépare !
J'ai ensuite troqué mon parapluie londonien pour un bonnet et des moufles scandinaves ! Direction Tampere, en Finlande, pour un échange universitaire. Une année très riche où j'ai même pu rencontrer le Père Noël !
A la fin de mes études, je suis parti en mission VIE à Bangkok. Le plan initial était de revenir en France
après 18 mois… Voilà… 13 ans plus tard, toujours en Asie !
La qualité que vous préférez de votre pays d'origine et de Singapour ?
J'ai beau l'avoir quitté, je reste un amoureux de la France, de ses paysages, de sa gastronomie, de ses fromages !
Singapour, c'est un peu l'inverse : une cité-État ambitieuse, efficace et sûre. On vit dans un cocon très bien structuré. On dit souvent – en plaisantant - que Singapour c'est « l'expatriation pour les nuls » : pour bien des aspects, la vie y est plus facile qu'en France.
Pour vous quel est le principal défaut de la France et de celui de Singapour ?
Comme pour beaucoup de Français, le mois de mai est la saison des impôts. J'en ai le tournis !
Quand on a Singapour comme référence, on sait que les procédés peuvent être simples, accessibles, digitalisés et rapides. En habitant loin, on se rend compte qu'en France, on est certes double champion double du monde en foot, mais aussi triple champion de la complexité des processus administratifs !
Mais Singapour a aussi les défauts de ses qualités. Petit, le pays est très bien géré. Peut-être trop parfois ? Le cadre peut y être rigide.
Quel a été votre plus grand choc culturel ?
Clairement, la Thaïlande. Par exemple, il est très commun que nos interlocuteurs nous disent « oui » alors même qu'ils pensent « non ». Pourquoi ? Simplement parce que dire « non » à des questions comme « avez-vous compris ? » suggère qu'on perde la face. Ou qu'un « non » à « êtes-vous d'accord ? » implique un manque de respect à sa hiérarchie.
Quelle a été la stratégie que vous avez utilisée pour aller au-delà de ce choc ?
J'ai dû combattre mes préjugés pour m'adapter à mes collègues ou à mes clients. Plus facile à dire qu'à faire !
Mon mentor à Bangkok m'avait recommandé d'adopter la stratégie des « 100 Premiers Jours », en me concentrant davantage sur la compréhension de mon environnement, des personnes qui m'entouraient et de la culture thaïe - plutôt que sur mon expertise business. Cette stratégie m'a aidé à m'intégrer et à me constituer un réseau solide, sur lequel j'ai ensuite pu compter.
Si vous étiez une ville ?
Melbourne : une ville culturellement riche, centrée sur le « work-life balance », où se côtoient ambition professionnelle et épanouissement personnel.
Si vous étiez un livre ou un film ?
Je me verrai bien en journal. Le Courrier International : une revue de presse d'à travers le monde, essayant de partager les nouvelles les plus étonnantes.
Quels sont les aspects dans votre expérience à l'étranger qui vous ont le plus heurté ? Et le plus enchanté ?
Les voyages ont rythmé mes week-ends et mes vacances depuis presque 15 ans. J'ai la chance d'avoir pu découvrir l'Asie. J'ai eu des coups de cœur tout particulier pour la Birmanie, le Sri Lanka, le Yunnan (Chine) ou encore Raja Ampat en Indonésie…
Depuis un an, on prend d'autant plus conscience du privilège que l'on avait de pouvoir voyager dans une région si riche.
La richesse est aussi culturelle. Et quel écart avec notre prisme occidental. Par exemple, j'ai été blessé par le silence ou l'évitement de certains de mes interlocuteurs locaux lorsque je leur ai annoncé la mort de mon fils, il y a un peu plus d'un an. De nombreux sujets restent malheureusement tabous.
A quelles différences interculturelles avez-vous dû faire face en travaillant en Asie ?
En Asie, on ne se salue pas forcément, entre collègues, en arrivant au bureau. Au début, je ne comprenais pas, j'interprétais cela comme un manque de respect.
Et puis j'ai compris que plus tard dans la journée – en particulier en Thaïlande – demander si on avait bien mangé était leur façon de prendre des nouvelles.
Que vous a appris la vie à l'étranger ?
En quittant mon cocon parisien, j'ai mis une nouvelle paire de lunettes. Je vois les expériences de la vie sous un nouveau prisme, avec des nouvelles couleurs. Mes valeurs ont changé. Mes aspirations ont changé. Certaines de mes croyances ont été chamboulées. Pour autant, je reste la même personne.
Quelle habitude ou mode de vie avez-vous adopté de votre expérience ?
Prenez les réunions en téléconférence. Elles sont dorénavant notre routine quasi quotidienne.
Au début, je considérais les caméras éteintes comme un manque de respect pour les interlocuteurs.
J'ai ensuite compris qu'il s'agissait encore une fois, d'une différence culturelle. Demander à ses équipes d'allumer leur caméra, c'est comme s'immiscer dans leur vie privée. Ainsi, ils peuvent se sentir vulnérables et moins en confiance par rapport à des conversations professionnelles, en exposant leur chez-soi. J'ai appris à respecter les envies de chacun.
Quel serait votre coup de cœur à partager sur Singapour méconnu ou incontournable ?
J'aime aller dans les « Wet Markets », les marchés locaux, avec leur ambiance bien particulière, leurs fruits pleins de couleurs, leurs épices, leurs poissons étonnants, leurs odeurs. J'aime particulièrement aller au Tekka Market, à deux pas de Little India.
Quel serait le conseil que vous auriez aimé recevoir avant d'arriver à Singapour qui vous aurait aidée ?
Mieux comprendre la culture locale. La ville se définit comme un melting-pot. La preuve, il y a quatre langues officielles : l'anglais, le mandarin, le tamoul et le malais. Mais l'anglais ne fait pas tout et comprendre les subtilités au-delà de la langue est crucial. Par exemple, l'extrême rigueur en place dans la République de Singapour est très bien acceptée par la population locale.
Idée originale et propos recueillis, Cécile Lazartigues-Chartier