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Plan immigration Québec 2022, appel aux talents étrangers au Canada, aux États-Unis, en Australie… Les grandes puissances ouvrent largement leurs portes à la main-d'œuvre étrangère qualifiée. Ce choix ne date pas d'hier, mais fait partie de l'ADN même de ces États. Territoires d'immigration, ils misent sur les talents étrangers pour doper leur croissance, avec succès. Et la France ?
Talents étrangers : la France à la traîne
Le pays est à la traîne, plombé dans une vision partielle de l'immigration. Résultat : un intérêt moins marqué des talents étrangers, et une France qui peine à rivaliser avec les autres puissances économiques.
Dans son discours d'ouverture de la réunion mondiale sur l'éducation au siège de l'UNESCO, le 10 novembre dernier à Paris, le président français et peut-être candidat à sa succession Emmanuel Macron affirme sa volonté de « permettre à tout enfant, quelle que soit son origine, d'avoir accès à des fonctions, des responsabilités, des opportunités, simplement en raison de ses talents et de son engagement ». Il affiche la même détermination un peu plus tôt, le 12 octobre, alors qu'il dévoile son plan « France 2030 », bâti en partie avec des formations d'étudiants en Master et Doctorat. Est-ce une prise de conscience du retard de la France sur les autres nations ? Macron veut aller vite et promet « un investissement massif de 2,5 milliards pour [...] les talents » ainsi qu'une accélération des formations sur les nouvelles filières et les secteurs de pointe.
« France 2030 », « La France Tech »... La main-d'œuvre étrangère qualifiée est directement visée par ces programmes. Lancée dès 2013 sous le gouvernement Hollande, France Tech n'a cessé de se développer, et entend créer des pôles de compétitivité dans les domaines du numérique et des nouvelles technologies capables de rivaliser avec une Silicon Valley. Car le constat est sévère. La France n'attire pas les talents étrangers, et le paie en points de croissance. Le Conseil d'analyse économique (CAE) rend, le 9 novembre dernier, un rapport sans appel. Si, en 2021, la France entre enfin dans le top 20 des États les plus attractifs (19e), sa position est encore précaire. L'école de management Insead et Portulans, à l'origine de l'étude, note que la France est toujours loin derrière le trio de tête : Suisse, Singapour et États-Unis. Terre d'immigration, les États-Unis s'érigent en modèle et ce, malgré les tensions ethniques – du moins, la nation américaine fait preuve de plus de volonté concernant la promotion des talents étrangers.
La réussite par l'exemple : le modèle américain
Pour Emmanuelle Auriol et Hillel Rapoport, auteurs de l'étude du CAE, « les pays qui ont les plus hauts taux d'immigration au monde sont tous des pays riches ». Et les experts de constater des compétences davantage développées par les immigrés qualifiés que par les locaux : créativité, sens de l'innovation, prise de risque, indépendance... Ces talents étrangers sont souvent bilingues voire polyglottes. Ils montrent une capacité d'adaptation rapide. Ils osent développer leurs idées, s'investissent différemment dans leur travail, aiment partager, apprendre de l'autre, maîtrisent l'art du compromis… Le fait de quitter son pays pour embrasser la culture d'un autre État n'est pas anodin. La culture anglo-saxonne valorise cette prise de risque. C'est le mythe du « self-made man », de l' « American dream », entretenu par des exemples révélateurs. Indra Nooyi, femme d'affaires et ancienne dirigeante de PepsiCo, Sundar Pichai, directeur de Google, Christiane Amampour, cheffe d'antenne internationale à CNN et autrice, Isabel Allende, journaliste et écrivaine, Elon Musk, président de Tesla, Satya Nadella, PDG de Microsoft... tous sont nés à l'étranger et ont connu le succès aux États-Unis. Ils sont les portes-paroles de l'immigration réussie. Dans leur sillage, ils exhortent les jeunes étrangers à tenter leur chance.
Les États-Unis encouragent la démarche, ayant pris conscience, depuis longtemps, du fort potentiel de cette main-d'œuvre – confère le modèle de la Silicon Valley. Les immigrés ne représentent pourtant que 13% de la population totale américaine, mais constituent le double des entrepreneurs. Des entrepreneurs talentueux dont la renommée dépasse les frontières. Autant de modèles pour d'autres candidats à l'expatriation, voyant dans ces exemples, et dans la politique des États-Unis, des motivations supplémentaires au départ. C'est un cercle vertueux. Les talents étrangers contribuent à la croissance américaine et à son rayonnement mondial. Les investisseurs affluent, directement attirés par ces mêmes talents étrangers, qui établissent de véritables ponts économiques et diplomatiques entre leur pays d'origine et leur pays d'accueil.
En France, peu de modèles : la journaliste Christine Ockrent, la femme d'affaires Mercedes Erra, le PDG d'Altrad, homme d'affaires et président du Montpellier Hérault rugby Mohed Altrad… Certains taclent la politique migratoire française, qui n'encouragerait pas la venue des talents. Pire : la France serait enfermée dans une vision partielle de l'immigration, relent de colonialisme réactivé régulièrement par les populismes d'extrême-droite. Les débats actuels de certains candidats à la présidentielle de 2022 – les plus virulents – ne pointent en effet qu'une seule forme d'immigration. Dans cette vision partielle et déformée où l'étranger/l'immigré serait forcément un individu pauvre provenant d'Afrique ou du Moyen-Orient, la promotion des talents étrangers est quasi-impossible. Et les observateurs de rappeler que « l'expatrié » et « l'immigré » sont de quasi synonymes qu'il convient d'utiliser comme tel. Perdue dans des débats d'identité, la France a pris un retard considérable sur le développement de l'immigration économique.
Attirer les talents étrangers : un enjeu pour la croissance
Comment attirer les talents étrangers ? Le passeport talent, visa spécifique censé attirer les étrangers qualifiés, est sous-exploité (à peine 13 500 primo demandeurs en 2019, selon le Ministère de l'Intérieur). Les autres puissances, Canada et États-Unis en tête, se sont construites sur l'immigration. Les appels à la main-d'œuvre qualifiée y sont réguliers et sans ambiguïté. La dernière loi immigration du Québec entend attirer environ 70 500 nouveaux arrivants d'ici à 2022, dont une majorité de travailleurs qualifiés. Les offres d'emploi sont nombreuses et balayent tous les secteurs économiques : santé, administration, métiers de bouche, professions libérales, enseignement, sport, artisanat... Un atout considérable pour le Québec (la situation est la même au Canada) qui confirme sa position de terre privilégiée pour l'expatriation. Aux États-Unis ou en Australie, la notion de « talent étranger » est aussi entendue au sens large. Résultat : le Canada et l'Australie attirent une majorité d'étrangers ayant un haut diplôme.
En France, c'est l'inverse. « L'immigration de travail, et notamment de travail qualifié, reste marginale dans notre pays », observent Emmanuelle Auriol et Hillel Rapoport. Peu de hauts diplômés, et des offres d'emploi trop limitées au monde des nouvelles technologies. En prenant le mauvais virage, la France a ralenti sa croissance. En 2019, seuls 13% des titres de séjour ont été délivrés pour un motif économique. Un an plus tard, 39 000 000 millions d'individus ont fait une première demande de titre de séjour pour motif économique (34 000 000 en 2019). Ils sont 91 000 000 à avoir fait la même demande pour motif familial (chiffre similaire en 2019 et 2020). Il reste encore beaucoup à faire pour inverser la tendance, et devenir un pays aussi compétitif que les autres puissances.
Les nouveaux programmes gouvernementaux hisseront-ils la France au rang d'eldorado pour talent étranger ? Rien n'est moins sûr. En pleine période électorale, les candidats à la gouvernance semblent peiner ou ne pas oser mettre en avant le besoin de talents étrangers. Les start-ups françaises, elles, ont d'ores et déjà publié leur Manifeste pour 2022, et appellent à booster les investissements français pour, enfin, rattraper le retard pris sur les autres puissances.