
Le temps passe, les mêmes scènes se répètent. Le temps en Chine prend parfois des allures de « retour vers le passé ». À moins qu'il ne soit bloqué à mars 2020. La puissance communiste refuse de lâcher sa politique « zéro Covid ». Un pari risqué, à l'heure où presque tous les autres États ont rouvert leurs frontières, et allégé leurs restrictions sanitaires. Mais Xi Jinping tient à sa stratégie. Quitte à désespérer sa population. À Shanghai, lassitude et grogne sont le menu quotidien des confinés. Les étrangers reclus sur place sont de plus en plus nombreux à songer au départ. Une vague de plus.
Shanghai : le confinement qui vire au chaos ?
Toute la ville de Shanghai ou presque survit sous cloche. 25 millions d'habitants confinés, qui partagent leur quotidien, entre incompréhension et colère. Pourquoi encore paralyser une ville entière ? Pourquoi cadenasser les portes des immeubles ? Comment nourrir 25 millions d'habitants ? Comment les approvisionner en produits d'hygiène et de santé ? Eddy témoigne : « Je peux honnêtement dire que la vie a tourné à l'enfer. J'ai hâte de partir d'ici. » Sur Facebook, Laurianne déconseille aux candidats à l'expatriation de venir : « On est confinés depuis mi-mars. On galère pour acheter des produits de première nécessité. On n'a pas accès aux produits d'hygiène ni de nettoyage. On est testés tous les jours. » Certains subissent même plusieurs tests dans la journée. Les plus chanceux ne sont confinés « que » depuis début avril. Mais ce nouveau confinement fracture un peu plus les populations. Sans surprise, les plus aisés s'en sortent mieux ; ils ont des stocks de nourriture et achètent en groupe. Ils vivent dans les quartiers huppés de Shanghai ; les plus chanceux ont un balcon. Pour les autres, le confinement est encore plus dur à vivre, tant physiquement que psychologiquement. Les habitants de Pékin craignent de subir le même sort que Shanghai et préparent leurs stocks. Ils sont pourtant loin de la flambée que connaît Shanghai, mais redoute une accélération des contaminations.
L'isolement des personnes positives mais asymptomatiques fait aussi débat. Ceux qui sont passés dans ces immenses centres de quarantaine témoignent de condition de vie terribles. Plus de 100 000 personnes y seraient actuellement retenues. La population redoute plus ces centres d'isolement que le virus. Pour le consulat américain, la stratégie « zéro Covid » de Pékin connaît raté sur raté. Les vagues Covid se succèdent malgré les frontières fermées. Mardi 12 avril, le consulat américain autorise donc ses salariés « non-essentiels » à quitter Shanghai. Réponse cinglante du porte-parole de la diplomatie chinoise Zhao Lijian : le pouvoir chinois affiche « […] une ferme opposition aux accusations sans fondement de la partie américaine concernant sa politique de contrôle des épidémies […] ». Et le porte-parole d'ajouter « que la politique chinoise de contrôle des épidémies est scientifique et efficace. » Les expatriés, comme les locaux, dénoncent une atteinte à la dignité humaine. Partir semble l'unique solution pour échapper au chaos.
Inflation, Covid, récession… Shanghai fait-elle toujours rêver ?
A Shanghai, confinement oblige, les 4600 Français inscrits sur les listes électorales ont été privés d'urnes dimanche dernier. La même situation risque de se répéter dimanche prochain. Les autorités chinoises ont rejeté toutes les demandes de dérogation de la France. « C'était sûr qu'on n'allait pas voter, analyse Laurianne. Dans mon quartier ils refusent qu'on sorte du compound résidence pour aller prendre un avion pour un autre pays ou aller à l'hôpital. Alors nous laisser exceptionnellement sortir pour aller voter n'était pas crédible […]. »
Le chiffre des contaminations à la Covid grimpe lui aussi, avec plus de 20 000 nouveaux cas par jour. Mardi, 7 nouveaux décès ont été enregistrés. Sur les réseaux sociaux, les commentaires alarmés ou excédés d'étrangers subissant le confinement se multiplient. Certains parlent de « parcours du combattant pour trouver à manger », « d'isolement total » et manifestent leur volonté de partir dès que possible. D'autres accusent leur gouvernement de ne pas en faire assez. C'est le cas de Valérie : « L'ambassade ou le consulat de France aurait dû anticiper. C'est vraiment plus que décevant ! » Les autorités françaises disent pourtant être au plus près des quelque 7000 ressortissants français. Ils recueillent de plus en plus de témoignages d'expatriés pressés de partir. Vendredi dernier, un avion Air France aurait décollé pour rapatrier 300 passagers en France.
En lien direct avec la crise sanitaire, l'inflation pousse aussi les expatriés au départ. +1,5% en mars : c'est un peu plus que les prévisions des experts. Pour Ting Lu, « l'indice des prix à la consommation pourrait poursuivre sa hausse en avril […]. Avant le confinement de Shanghai, des milliers de ménages ont fait du stock. Les mêmes comportements se répètent, et l'inquiétude grandit. La multiplication des confinements a fait glisser la Chine vers une nouvelle récession. Le phénomène avait déjà eu lieu en 2020, avant une reprise économique. Mais la santé morose de l'économie chinoise a un impact direct sur celle de l'économie mondiale, déjà fragilisée par la guerre en Ukraine et la Covid-19.
Faut-il rester à Shanghai ou partir ? De plus en plus d'expatriés se sentent poussés au départ par un pouvoir qui, selon eux, ne fait rien pour sa population. Les autres s'interrogent sur leur avenir : étudier à Shanghai, mais à quel prix ? Travailler mais pour gagner combien ? Entre la vie chère et la Covid, d'autres ont fait le choix. Leur avenir se passera loin de Shanghai.