Les expatriés sont les grands oubliés des élections régionales et ne peuvent exprimer leur voix quand il s'agit de décider des politiques et initiatives locales. À Bruxelles, ils sont très nombreux à ne pas pouvoir participer aux élections et à la vie politique locale dont une grande majorité parce qu'elle n'a pas la nationalité belge.
Ce sont pourtant ces mêmes personnes qui occupent des postes qui font vivre la ville, participent à son économie, payent des impôts… Pour certains, il est donc temps que les membres de cette communauté internationale aient une voix.
Qu'est-ce que Brussels Voice ?
Brussels Voice c'est le résultat de ce constat : « Un Bruxellois sur trois est citoyen d'un autre pays et ne peut donc pas voter aux élections régionales. ». De là, est née une initiative unique prise par le secrétaire d'État Pascal Smet visant à répondre à la problématique suivante : « comment intégrer la communauté internationale dans la vie politique locale ? ».
Le projet a d'abord commencé par la phase de participation démocratique appelée « Live here. Speak, hear » qui a eu lieu entre mai et décembre 2021 et s'est découpée en plusieurs étapes. Une première phase de collecte d'idées, réalisée via une plateforme numérique, a permis de faire ressortir 250 idées concernant la vie à Bruxelles. Dans un second temps, les Bruxellois ont voté pour valider les idées retenues avant de se rencontrer à l'occasion d'ateliers de travail prenant la forme de débats, brainstormings… Sont nées de ces ateliers, 166 solutions constructives réparties en 6 thématiques (le droit de votes pour les Bruxellois internationaux, la mobilité, l'accessibilité des services publics, les espaces publics, la propreté urbaine et la diversité) qui ont composé le manifeste Brussels Voice. Des experts universitaires ont ensuite étudié les solutions proposées dans le manifeste afin de les transformer en projets de lois réalistes et concrets, donnant forme à 22 propositions de loi qui ont été soumises au parlement bruxellois fin avril dernier.
Une initiative forte pour la communauté internationale
Dans la plupart des pays, les expatriés ne peuvent pas s'impliquer dans la vie politique locale et ce type d'initiative pourrait remédier à cette problématique. Bien sûr, il convient de voir ce qu'il ressortira de concret de la présentation du manifeste au parlement. Les expatriés obtiendront-ils le droit de voter aux élections locales ? Certaines de leurs idées seront-elles vraiment appliquées ? Quoi qu'il en soit, cette initiative est la première à offrir une avancée concrète sur la question de la vie politique locale pour les expatriés et à leur avoir donné l'opportunité d'être entendus par le gouvernement. Une initiative qui ouvre la voie des possibles et qui pourrait inspirer d'autres pays.
Bryn Watkins, Bruxellois d'origine britannique qui soutient Brussels Voice et a été l'un des orateurs qui a défendu le manifeste devant le parlement, nous explique l'importance de cette initiative pour la communauté internationale.
Pouvez-vous nous dire où en est le projet, quelles seront les prochaines étapes ?
Le Manifeste des Bruxellois internationaux et ses 22 propositions ont été récemment présentés aux parlementaires et décideurs politiques de la région lors d'un grand événement au Parlement bruxellois : Brussels Voice ‘22.
L'avenir reste à définir mais on est déjà sûr que ce n'était que le début de Brussels Voice ! Dans les prochains mois, il faudra faire du suivi pour avoir une réponse claire des autorités régionales au manifeste. Nous poserons aussi les bases d'un organe de consultation plus pérennisé et stable pour les Bruxellois internationaux. Nous avons déjà un engagement du secrétaire d'État Pascal Smet et de l'association régionale Commissoner Brussels, les deux acteurs qui ont également porté le projet jusqu'ici.
Pouvez-vous nous parler de l'importance de cette initiative pour la communauté internationale de Bruxelles et ce que cela va changer concrètement pour elle ?
Concernant les impacts concrets pour les Bruxellois internationaux, je pense qu'on pourra les voir à trois niveaux. D'abord, il y a des propositions dans le manifeste qui pourraient résoudre des problèmes qui touchent spécifiquement notre communauté, surtout quand on arrive à Bruxelles pour la première fois. Par exemple, on fait face à des difficultés avec la domiciliation à la commune ou avec les garanties pour louer un appartement. Deuxièmement, la création et la pérennisation d'un nouvel espace démocratique pour cette communauté qui ne peut pas voter aux élections régionales soutiendront connaissance et reconnaissance mutuelles entre les Bruxellois internationaux et les autorités régionales. Ça nous aidera à nous sentir plus chez nous et assurera que les politiques régionales prennent compte de nos intérêts et défis. Finalement, les dispositifs participatifs comme Brussels Voice peuvent être un chemin d'inclusion démocratique qui aboutira au droit de vote pour les Bruxellois internationaux. En fait, lors de Brussels Voice '22, la majorité des parlementaires présents étaient déjà favorables au droit de vote pour les non-Belges aux élections de la Région Bruxelles-Capitale. Donc, nous espérons voir du progrès sur ce dossier dans les années à venir !
Savez-vous s'il existe des initiatives similaires dans d'autres pays ? Pensez-vous que ce concept soit exportable dans d'autres pays ? Si oui, comment ?
Oui, il existe des concepts semblables comme le Conseil parisien des Européen(ne)s, qui a été lancé suite à un projet de participation démocratique. Même au sein de la région bruxelloise, il y a des comités consultatifs pour les étrangers dans des communes avec une population très internationale telles que Etterbeek ou Ixelles. Je pense donc que c'est tout à fait réalisable dans d'autres contextes. La région bruxelloise est hyper-cosmopolite et nous sommes le siège de nombreuses organisations européennes et internationales, ce qui attire beaucoup de travailleurs. 1 Bruxellois sur 3 a la nationalité d'un autre pays que la Belgique. Ça rend peut-être plus urgent et plus fructueux d'instaurer un processus comme Brussels Voice ici, mais l'approche peut bel et bien s'appliquer partout où il y a de nombreux internationaux.
Pourquoi, à votre avis, il est important de mettre en place des initiatives similaires dans d'autres pays et villes ?
D'un côté, c'est une question d'inclusion et justice démocratique. Qui réside quelque part, devrait avoir l'opportunité de lever sa voix dans le processus politique, surtout ceux qui restent longtemps et contribuent à la société et l'économie locale. À Bruxelles, par exemple, le secteur international génère plus de 20% du PIB régional. Il ne devrait pas falloir être de nationalité belge pour être citoyen de Bruxelles. C'est un déficit démocratique qu'un espace participatif comme Brussels Voice peut partiellement combler.
De l'autre côté, c'est aussi une opportunité pour la région d'entendre enfin les voix de ses résidents internationaux. Ils sont sans doute pleins d'idées pour leur ville qu'ils connaissent et qu'ils adorent. En plus, les origines diverses des participants fournissent des sources d'inspiration et des points de comparaison qui sont très utiles dans la recherche de solutions. Dans Brussels Voice, c'est une vraie richesse et je suis heureux que la région puisse profiter du savoir que les Bruxellois internationaux offrent juste en arrivant d'ailleurs.
En conclusion, plus de regroupements pourraient facilement se mettre en place pour présenter des projets similaires dans d'autres pays. Mais quelles seraient alors les grandes étapes nécessaires pour qu'une telle initiative puisse aboutir ?
- Trouver une personnalité politique pour porter le projet
- Mettre en place un système de participation démocratique pour rassembler les besoins et envies de la communauté internationale
- Mobiliser la communauté internationale pour participer à cette grande enquête
- Croiser, synthétiser ces retours pour en extraire des propositions de lois possibles
- Transformer ces idées en projets de lois applicables
- Présenter ces propositions devant le parlement
- Travailler sur l'application des propositions validées
L'exemple de Bruxelles nous donne, en tout cas,matière à nous inspirer et facilitera, sans doute, l'émergence de regroupements démocratiques qui pourront mettre en application les outils et méthodes qui auront fait leurs preuves en Belgique.