Pourquoi la Suède envisage de réorienter sa politique migratoire

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Écrit par Asaël Häzaq le 31 janvier, 2023
Pour Maria Malmer Stenergard, la ministre suédoise de la Migration, c'est une mesure qui vise à « réduire le risque de souffrance pour ces personnes ». Derrière cette mesure, l'influence des Démocrates de Suède (SD), parti d'extrême droite. Le SD compte bien profiter du mandat de la Suède – le pays préside actuellement l'Union européenne – pour orienter la politique migratoire.

Quand la Suède change « de paradigme »

« Campagne internationale de sensibilisation contre l'immigration ». Ainsi se présente le nouveau plan de la Suède pour réduire l'immigration sur ses terres. Le 24 janvier, Maria Malmer Stenergard, ministre de la Migration issue des Modérés, explique le nouveau plan migratoire de la Suède lors d'une conférence de presse. Fait étonnant : la présence de Henrik Vinge, leader des Démocrates de Suède (SD), parti d'extrême droite. Le SD n'est pourtant pas membre du gouvernement. La coalition au pouvoir ne cesse de le répéter. Pourtant, c'est bien avec lui que la ministre de la Migration détaille son plan. La campagne internationale de sensibilisation prendrait la forme d'une communication à destination des ambassades étrangères en Suède et des agences de presse et rédactions étrangères.

Pour la ministre de la Migration, il est indispensable d'agir. La ministre veut changer l'image d'un pays jugé « très généreux » avec les étrangers. La Suède a « changé de paradigme », martèle-t-elle. L'administration suédoise doit cesser de faire « la promotion de la Suède à l'étranger » en se présentant « comme un pays aux nombreuses allocations, ce qui a contribué à faire venir les gens ici. »

Reste à savoir si la ministre parle de tous les candidats à l'immigration ou cible une partie de cette population. D'autres précisions semblent pencher pour la seconde option. La campagne viserait à protéger les candidats au départ contre les abus. « [...] Ils mettent leur vie entre les mains de passeurs et seront toujours autorisés à revenir. S'ils sont informés des règles, nous réduisons le risque de souffrance pour ces personnes. », explique la ministre.

Immigration : l'influence de l'extrême droite

Pour les analystes, le gouvernement suédois subit les conséquences de son alliance avec l'extrême droite. Les élections de septembre 2022 voient se former un gouvernement inédit. Le SD obtient un score historique : 20 %. Il devient la deuxième grande force du pays. Ulf Kristersson, membre influent des Modérés, devient Premier ministre. Une élection qu'il doit à son alliance avec l'extrême droite. Modérés et Chrétiens-démocrates signent un « accord de coalition » et acceptent donc la main tendue de l'extrême droite pour former un gouvernement. Si officiellement, le SD ne fait pas partie du gouvernement, il s'est assuré que son programme dur, notamment concernant l'immigration, sera suivi.

En décembre 2022, la Suède accède à la présidence tournante de l'UE, faisant naître l'inquiétude des autres dirigeants européens. D'aucuns redoutent que cette présidence soit utilisée par l'extrême droite pour faire passer ses mesures contre l'immigration. C'est chose faite avec cette annonce. Le SD n'a pas fini de peser sur la présidence suédoise de l'UE.

L'immigration en Suède : le temps du durcissement

Que se passe-t-il en Suède ? Le pays « généreux » serre la vis, et tire des leçons d'une politique qui n'a pas su accueillir les étrangers.

Crise migratoire et politique d'accueil

Retour en 2015 : des centaines de milliers de Syriens atteignent les côtes européennes. La guerre fait alors rage en Syrie, depuis 2011 (le pays est toujours en guerre). En 2014-2015, le confit devient international. Les États-Unis pilotent la coalition contre les forces syriennes. La Russie s'allie à Bachar al-Assad. Des millions de Syriens sont contraints de fuir. Selon l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), au moins 7,6 % sont déplacés à l'intérieur de la Syrie. En 2015, plus de 4 millions quittent le pays, principalement en Turquie (1,8 million), et Liban (1,1 million). Des centaines de milliers trouvent refuge dans les pays voisins, Irak, Jordanie ou Égypte.

D'autres pays accueillent les réfugiés syriens, comme le Canada (près de 60 000 en 2015) et les États-Unis (environ 21 700 entre 2011 et 2016). En 2015, 1,3 million de réfugiés demandent asile en Europe. Un chiffre en hausse de 74 % par rapport à l'année précédente. Ces réfugiés viennent principalement de Syrie, d'Irak, de Lybie, d'Afghanistan d'Érythrée, ou encore du Mali. Très vite dépassée, l'Union européenne (UE) vote à la majorité un accord de répartition des réfugiés. L'accord est signé le 22 septembre 2015, dans la douleur. La Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie et la Roumanie votent contre le texte. Selon Eurostat, ils n'ont d'ailleurs pas validé de demandes d'asile en 2015.

Une politique migratoire plus restrictive

L'Allemagne et la Suède sont les deux pays européens à valider le plus de demandes d'asile (148 215 demandes acceptées pour l'Allemagne, 34 470 pour la Suède). La France en accepte 26 015, le Royaume-Uni, 17 920 (chiffres Eurostat). Mais en proportionnant ces chiffres à ceux de la population, la Suède devient le pays ayant accueilli le plus de migrants par habitant (160 000 fin 2015). Les tensions naissent. Dès 2016, le gouvernement vote une loi qui limite temporairement l'obtention du permis de séjour (jusqu'en 2021). La Suède accueille moins d'immigrants : 124 000 en 2018, 102 000 en 2019. Même baisse pour les demandeurs d'asile (environ 14 000 en 2020). En 2020, les personnes nées à l'étranger représentent 20 % de la population suédoise.

Le durcissement de la politique migratoire de la Suède coïncide avec une montée des discours d'extrême droite. La nouvelle coalition gouvernementale, obtenue grâce au soutien des Démocrates de Suède (SD), ne fait que confirmer la « droitisation » du pays, du moins en partie. À droite, on souligne le « problème » d'une immigration « massive » avec des individus trop éloignés de la culture suédoise, incapables de s'intégrer. Les contestataires opposent plutôt l'inaction d'une Suède qui n'a pas su prendre les mesures d'accueil nécessaires. Ils reconnaissent un problème d'accompagnement et dénoncent un État qui, dans les premiers temps, aurait fermé les yeux, notamment concernant le scandale des faux « enfants non accompagnés » (étrangers majeurs se faisant passer pour des mineurs). L'État soutenait qu'il s'agissait bien de mineurs. Les actes de délinquance d'une minorité d'individus ont choqué la population, et ébranlé la confiance entre l'opinion et les pouvoirs publics.

Mais en mettant tous les étrangers dans le même sac (la majorité des immigrants s'intègre et veut s'intégrer), l'extrême droite a favorisé un sentiment hostile vis-à-vis de la présence étrangère. La campagne de sensibilisation est une nouvelle victoire pour les Démocrates de Suède, qui comptent bien distiller leur vision de la politique migratoire.