S'expatrier dans un pays du Moyen-Orient en 2023
Durant les premiers mois de la Covid, les Émirats arabes unis (EAU) ont frappé fort en s'érigeant "destination sûre pour les expatriés". À grand renfort de campagnes de communication (notamment sur les réseaux sociaux), l'État, déjà majoritairement habité par des populations immigrées, a gagné de précieux points auprès des candidats à l'expatriation. Mais qu'entend-on par « Moyen-Orient » ? On rappelle que le terme, inventé par les États occidentaux, désigne Chypre, le Liban, la Syrie, l'Irak, l'Iran, Israël, la Jordanie, l'Arabie saoudite, le Koweït, le Qatar, le Bahreïn, les Émirats arabes unis, Oman, et le Yémen. Une petite moitié d'entre eux suscite les intérêts des candidats à l'expatriation. Intérêts partagés par les États de manière plus ou moins affirmée.
À Chypre, au Qatar et aux EAU, on recherche des professionnels étrangers, et on le fait savoir. L'Arabie saoudite prend également cette voie, partie dans une compétition avec le Qatar et surtout les EAU, pour être la nouvelle destination phare des expatriés. Israël compte sur les travailleurs étrangers pour contrer la pénurie de main-d'œuvre dans certains secteurs clés. Malgré une koweïtisation toujours en marche, le Koweït laisse la porte entrouverte pour les expatriés très qualifiés. Même ton pour Oman qui cherche à combler le vide laissé par les quelque 300 000 travailleurs étrangers partis durant la Covid. Au contraire, le Bahreïn accélère sa politique de « bahreïnisation » des emplois pour lutter contre la hausse du chômage. Le raisonnement est simple : les secteurs n'employant pas de nationaux devraient être « bahreïnisés ». Les autres destinations sont moins prisées, en grande partie à cause de leur situation interne (instabilité politique, sécurité, crise économique...).
Expatriation au Moyen-Orient : est-ce pour tout le monde ?
Qui peut s'expatrier au Moyen-Orient ? Existe-t-il un profil d'expatrié privilégié ? Voyage en solo, en famille, travail… Que faut-il prendre en compte ? Le salaire seul suffit-il à motiver l'expatriation ?
Salaires
L'on vante souvent les salaires très attractifs des Émirats arabes unis, portés par Abu Dhabi et surtout Dubai, l'une des villes qui paient le mieux dans le monde, l'État ne cesse de gagner des points auprès des talents étrangers. Le salaire moyen à Dubai oscille entre environ 15 550 et 16 270 AED par mois (environ 4233 à 4430 USD mensuels). Une moyenne qui peut fortement varier en fonction du secteur d'activité, de la profession exercée, de l'expérience, de la position hiérarchique (manager, directeur, etc.) Ces moyennes dépassent celles du salaire moyen français (environ 2840 USD mensuels), australien (environ 3444 USD mensuels) coréen (environ 2540 SD mensuel), sud-africain (environ 1234 USD mensuels), canadien (environ 3111 USD mensuels), brésilien (environ 450 USD mensuels), ou tunisien (environ 310 USD mensuels). On comprend mieux pourquoi les expatriés sont toujours aussi nombreux à tenter l'aventure aux EAU. L'État investit d'ailleurs dans les villes (Abu Dhabi, Charjah, Ajman City…).
À Chypre, le salaire moyen est d'environ 1550 à 3590 USD mensuels. C'est environ 2600 USD mensuels en Israël, 4260 USD mensuels au Qatar, et 2250 USD mensuels en Arabie saoudite. Là encore, d'importants écarts de salaires sont à prévoir selon le secteur d'emploi, le métier, l'expérience, le grade obtenu, etc. Les promesses de salaires confortables attirent chaque année nombre d'expatriés dans ces pays. Les salaires seuls ne suffisent pas. Les perspectives de carrière motivent également les candidats à l'expatriation. Ce sont souvent de jeunes actifs voyageant seuls. Pour eux, toutes les portes sont ouvertes. Les questions liées à une potentielle vie de famille entrent peu en compte dans leur calcul. En revanche, ceux partant en couple ou en famille sont plus sensibles aux questions d'éducation, de protection sociale, de niveau de revenu, de coût de la vie.
Coût de la vie
Impossible en effet de parler salaire sans parler du coût de la vie. Dubaï, l'une des villes favorites des expatriés, devient aussi l'une des plus chères. Les prix ont explosé cette année, transformant peu à peu la ville en cité pour les « super riches ». Selon Bloomberg, le loyer moyen d'une famille installée à Dubai grimpé à près de 85 000 dollars annuels (environ 7083 USD mensuels). C'est 26 % de plus que l'an dernier. Malgré les salaires élevés et les avantages fiscaux, des expatriés quittent la riche Dubai pour Abu Dhabi, Charjah ou Ajman City, dont les coûts de la vie sont moins élevés.
Il fait bon vivre à Chypre, qui attire toujours autant d'expatriés. Beaucoup s'installent à Nicosie, la capitale. Ils viennent en solo comme en famille. Des familles qui ont le choix entre les écoles publiques locales gratuites et les écoles privées internationales anglophones ou francophones. Se loger est plus abordable qu'à Dubai. Il faut compter environ 1800 USD mensuels pour le loyer d'un bien en centre-ville, 1500 USD mensuels en banlieue.
Le coût de la vie est également un peu moins élevé en Arabie saoudite, même si la capitale Riyad s'est lancée dans une bataille pour concurrencer Dubai. Les expatriés sont nombreux à choisir de s'établir à Riyad, à Djeddah ou à Damman. Ceux qui immigrent en famille les choisissent, car elles abritent des établissements internationaux (par exemple, l'école française internationale de Riyad).
Là encore, les voyageurs en solo ont moins de charges, surtout s'ils ne comptent rester que quelques années dans le pays. Ces expatriés-là partent avant tout pour acquérir de l'expérience, faire carrière à l'étranger, développer leur réseau… Pour eux, peu de contraintes. Les familles et ceux qui envisagent une immigration de longue durée pensent davantage aux autres coûts (école, assurance santé, activités et loisirs, etc.).
Règles de vie et système politique : l'exemple de l'Arabie saoudite
Comment se comporter en société ? On a parfois tendance à oublier que les règles de vie diffèrent d'un pays à l'autre. Raison pour laquelle le salaire seul ne motive pas toujours une expatriation. Même le Canada, pays favoris des expatriés, a ses déçus. Ils lui reprochent un climat trop rigoureux ou une « incompatibilité » de mode de vie. Les pays du Moyen-Orient ont eux aussi une culture à connaître pour ne pas essuyer de revers. La loi islamique (charia) inspire la législation de la majorité de ces pays, avec des degrés variables. L'Arabie saoudite maintient une application rigoriste et continue d'imposer de grandes restrictions aux femmes, malgré des libertés accordées ces dernières années. Même rigueur en Iran. À Oman, on applique une modération relative. Les différents groupes religieux vivent en bonne entente. Mais les femmes, les homosexuels restent dans le collimateur de l'exécutif. Le Qatar ou les Émirats arabes unis sont réputés « religieusement moins rigides ». Depuis la profonde refonte de son Code pénal (en décembre 2020), les EAU appliquent un principe nouveau : moins de charia, pour plus de diplomatie. Un principe selon eux nécessaire pour attirer davantage de talents étrangers.
Dans certains pays, le système politique est également cause, malgré une ouverture affichée. On ne cesse de vanter les progrès socio-économiques amenés par Mohammed ben Salmane (MBS), le dirigeant de l'Arabie saoudite. Mais il faudra encore attendre pour que Riyad attire autant d'expatriés que Dubai. Les entreprises à s'installer à Riyad sont en effet moins nombreuses que celles faisant le choix de Dubai. D'après Bloomberg, « environ 80 entreprises ont déposé une demande officielle pour installer leur siège à Riyad. » Malgré le coup de pub de stars internationales comme Christiano Ronaldo, les expatriés semblent encore attendre d'autres changements. La consommation d'alcool est toujours interdite. Le parc locatif reste limité dans les quartiers dits occidentaux. Le choix des écoles internationales est lui aussi limité.
Les réformes engagées ne masquent pas une vie globalement moins libre et cosmopolite qu'à Dubai. La politique saoudienne elle-même divise, entre une Vision2030 controversée, qui creuse le déficit public, une sévère répression des opposants, une concentration des pouvoirs dans les mains d'un exécutif qui octroie des « bulles de liberté contrôlée » pour mieux asseoir son autorité. C'est pourtant cette vision que continue de porter l'Arabie saoudite, pour devenir la nouvelle destination phare du Moyen-Orient.
Conclusion
En octobre 2022, une enquête du magazine anglais The Economist révèle que 27 villes du Moyen-Orient et d'Afrique figurent parmi les 172 villes les plus agréables à vivre pour les expatriés. Abu Dhabi et Dubai arrivent en tête des villes les plus plébiscitées (de la région Moyen-Orient-Afrique), devant Koweït City et Tel-Aviv. À Koweït City, la nationalisation des emplois continue. Des politiques similaires sont menées en Arabie saoudite, au Qatar, à Oman, et même aux Émirats arabes unis, mais avec des degrés divers. Au début de l'année, le gouvernent émirati a instauré un système de quotas. Quotas qu'il juge « nécessaires » pour favoriser l'emploi des nationaux, et notamment, pousser les Émiratis vers le secteur privé. Une politique qui va toujours de pair avec l'ouverture aux autres pays du monde.
Une expatriation durable au Moyen-Orient est bien entendu possible. Tout dépend du projet, des moyens mis en œuvre pour le réaliser, de la prise en compte des réalités du terrain, des facultés d'adaptation (apprendre la langue du pays, par exemple). Les avantages fiscaux proposés par Chypre ou les EAU sont à mettre en balance avec le coût de la vie et les perspectives d'emploi. À Chypre, les métiers de chauffeur, vendeur, secrétaire, commis de cuisine et personnel hospitaliers font partie des métiers peu qualifiés qui recrutent. Côté professions hautement qualifiées, l'État recherche des infirmiers, des spécialistes de l'informatique, de l'économie, des finances, ou encore, de l'ingénierie. Pour contrer la pénurie de main-d'œuvre et faire baisser le coût de la vie, le gouvernement israélien prévoit de recruter des « milliers de travailleurs d'Inde et de Chine » dans la construction et les soins. Là encore, ces annonces sont à mettre en balance avec le projet de vie à l'étranger.