La crise immobilière continue toujours de sévir. Parmi les causes : les investissements immobiliers des expatriés, soupçonnés de faire augmenter les loyers. Pour éviter la surchauffe, plusieurs États prennent des mesures musclées pour empêcher, sinon limiter les achats immobiliers des expatriés.
Crise immobilière mondiale
La crise immobilière n'est pas près de s'arrêter. Plusieurs pays du monde sont en surchauffe ou restent en alerte. C'est le cas en Chine, en France, au Japon, en Afrique du Sud, en Belgique, ou encore en Argentine. Parmi les causes de la surchauffe, une inflation galopante, des taux d'intérêt trop élevés pour les acheteurs, et des investissements étrangers qui font flamber les prix. Pour éviter l'explosion, des pays ont légiféré pour interdire ou limiter l'accès à la propriété des acheteurs étrangers. D'autres, comme l'Espagne et le Portugal, s'interrogent encore.
Espagne et Portugal
Du luxe pour les locaux, mais pas pour les expatriés. À en croire les agents immobiliers d'Espagne et du Portugal, les expats ont le portefeuille assez fourni pour s'offrir des biens « presque de luxe » au regard du marché immobilier local. Certaines agences espagnoles disent s'être spécialisées dans la clientèle française, la plus grande acheteuse derrière la clientèle anglaise et allemande. De l'aveu des agences immobilières, c'est « du jamais vu ». Les expatriés n'hésitent pas à acheter au-dessus du marché pour être certains d'acquérir leurs biens. Les Espagnols sont battus sur leur propre terrain. Barcelone suffoque. L'offre de logements ne suit pas. Les locaux quittent les grands centres urbains. Les expats suivent et investissent les quartiers populaires. Les Espagnols dénoncent la gentrification et la hausse du coût de la vie. Ils appellent l'État à interdire ou limiter l'accès des étrangers à la propriété.
Ils ne sont pas les seuls. Le Portugal aussi s'interroge. Il regarde vers le Canada et la Nouvelle-Zélande, qui ont légiféré pour interdire ou encadrer les achats immobiliers des expatriés. Mais au Portugal, deux camps s'opposent. Les premiers appellent à suivre le Canada et la Nouvelle-Zélande. Ils reconnaissent que les acheteurs étrangers ne sont pas les seuls responsables de la crise immobilière. Mais ils affirment que les étrangers ont une part de responsabilité dans la hausse du coût de la vie et l'embourgeoisement des quartiers. Leur concentration conduit selon eux à la « défiguration » de tout un quartier. Les loyers flambent. Les commerces de proximité suivent et augmentent leurs tarifs. Les loyers flambent de plus belle.
Mais d'autres affirment que restreindre les achats immobiliers des expatriés n'est pas une solution pour le Portugal. Ils redoutent un effet négatif sur l'économie. Pour eux, ce qui est applicable ailleurs ne l'est pas forcément au Portugal.
Canada
Confronté à une grave pénurie de logements, le pays a interdit l'accès à la propriété (d'une maison, d'un appartement) aux investisseurs étrangers. La mesure, effective depuis le début de l'année, doit durer 2 ans. Elle vise à contenir la flambée des prix, stabiliser le marché, impulser la création de logements et encourager les locaux à acheter. Des exceptions sont prévues, notamment pour les étudiants étrangers en procédure de résidence permanente et les détenteurs d'un permis de travail.
Mais dès avril, le gouvernement a annoncé des assouplissements pour les titulaires d'un permis de travail. Difficile en effet de promouvoir l'immigration économique tout en empêchant les travailleurs de s'installer. Ottawa a donc lâché du lest pour les immigrés « éligibles ». En avril, l'ancien ministre du Logement Ahmed Hussen (aujourd'hui ministre du Développement international) défendait une mesure qui luttait contre la « spéculation immobilière ». L'ancien ministre de l'Immigration Sean Fraser a repris son portefeuille.
Et la tâche est rude. En septembre, la situation est si critique que le Premier ministre canadien Justin Trudeau synthétique le paradoxe : « même les [nantis] ont des difficultés avec le logement ». La situation est particulièrement grave au Québec, deuxième province la plus peuplée du pays. Entre 2018 et 2022, le nombre de sans-abri a bondi de 44 % au Québec. Conscient qu'une mesure contre les investissements immobiliers des expatriés ne parviendra pas seule à remettre le bateau à flot, le gouvernement promet de nouvelles stratégies. Toujours en septembre, Trudeau plaide pour une simplification des règlements municipaux ; la lourdeur administrative plombe les chantiers et ralentit la construction de logements. Or, selon le rapport 2023 de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL), le Canada aurait besoin de 3,5 millions de logements d'ici 2030 pour sortir de crise.
Mexique
Le pays restreint les achats immobiliers des expatriés. Certes, avant 1973, l'interdiction d'achat était totale. Depuis, les étrangers peuvent acheter des biens immobiliers sauf dans les zones réglementées par le gouvernement. En 90, le gouvernement accorde un nouvel assouplissement en autorisant les achats en zone réglementée, mais seulement si les étrangers respectent les règles. Ils doivent passer par le « fideicomiso » (fidéicommis) fiducie immobilière garantie par une banque mexicaine, dont l'étranger est bénéficiaire. Le fideicomiso permet d'accéder à la propriété indirectement.
Thaïlande
En principe, un étranger ne peut pas accéder à la propriété. Ils ne peuvent le faire qu'avec des logements en copropriété ou les contrats de location à long terme. Mais les procédures sont complexes et peu avantageuses. Pour relancer son économie frappée par la crise sanitaire et ramener de riches étrangers, la Thaïlande rouvre le débat. En octobre, le gouvernement propose un plan pour permettre aux étrangers éligibles de devenir propriétaires. Seraient éligibles les riches étrangers, les professionnels de haut niveau, les retraités fortunés répondant aux critères de revenus fixés par le gouvernement. Le plan entre dans la stratégie de l'État d'attirer davantage de riches étrangers. Le pays espère attirer plus d'un million de talents étrangers d'ici 2026. Mais depuis, la colère gronde. Nombre de Thaïlandais accusent l'État de « brader le pays ».
Nouvelle-Zélande
En 2018, le gouvernement néo-zélandais a voté une loi qui interdit aux étrangers (en dehors des Singapouriens et des Australiens) d'acheter une maison dans le pays. Exception faite pour les expatriés détenteurs d'un permis de séjour permanent. À l'époque, le pays traverse une grave crise du logement, avec une hausse d'environ + 60 % des prix du logement en 10 ans. Dans le viseur du gouvernement, les investisseurs étrangers, soupçonnés de faire flamber les prix. Depuis, le problème du logement reste toujours une épine dans la chaussure des autorités. En 20 ans (2000-2021), les prix ont explosé de 256 %. On parle de « pénurie chronique de logements ». Pas question donc de revenir sur la loi de 2018. Des étrangers profitent néanmoins des exemptions dont bénéficient certains programmes immobiliers pour acheter.
De quels « étrangers » parle-t-on ?
Ira-t-on vers des interdictions plus fréquentes contre les achats immobiliers par des étrangers ? Impensable, s'insurgent certaines voix en Espagne. Le représentant des propriétaires barcelonais Oscar Gorgues quant au risque de glissement vers un extrême dangereux. Pour lui, il faudrait tout d'abord définir « de quel étranger on parle ». Il y a en effet un monde entre le riche retraité, l'investisseur détenteur d'un Golden visa, l'étudiant étranger et le travailleur étranger. Les débats ne font que commencer.