Alors que les élections européennes débutent ce 23 mai, d’aucuns s’interrogent sur le taux de participation. Qu’en pensent les expatriés ? Iront-ils voter ? Pourquoi ?
Nous avons recueilli la parole de certains d’entre eux. Ils nous livrent leur vision de l’Union Européenne, nous confient leurs doutes et leurs aspirations.
Tamar, expatriée au Japon
Tamar est une jeune étudiante. Passionnée par la culture japonaise depuis son enfance, la jeune femme, dynamique et aventurière, aime relever les défis. Très attachée aux valeurs familiales, il est primordial, pour elle, d'aller voter.
“Dans ma famille, tout le monde vote. J'ai toujours vu mes parents voter. Petite, je les accompagnais au bureau de vote. Ils m'ont toujours dit qu'il était important de voter. A la maison, on suivait beaucoup les débats politiques à la télé. Après, on débattait entre nous. Je pense que c'est ça qui a forgé mes convictions actuelles. Grâce à mes parents, j'ai appris beaucoup de choses. J'ai pris du recul. Car à la télé, et sur le net, on voit et on lit tout et son contraire. On entend surtout le pire sur l'UE. Je crois que c'est à cause de la crise économique. Les gens se replient sur eux-mêmes et voient l'autre comme un ennemi. C'est triste. Au contraire, si on unissait tous nos forces, on serait plus forts.”
La jeune vingtenaire épingle également les dirigeants de l'Union Européenne, responsables, à ses yeux, de ce désamour.
“Pour moi, les chefs d'Etat ne font pas leur job. Le temps passe, et rien ne change. C'est depuis le début que ça ne va pas : l'UE, à la base, c'est juste une union économique. Personne n'a associé les populations à ça. Et, tout d'un coup, sans explications ou presque, on veut qu'un sentiment europhile se crée. Non, ça ne se passe pas comme ça. On voit bien toutes les tensions qu'il existe dans un État. Alors, dans une union de 28 !”
Tamar termine en insistant sur le rôle des jeunes. “Les jeunes peuvent faire bouger les choses. Il y a trop de personnes âgés, dans le monde politique actuel. En France comme dans les autres pays. Il faut faire une sorte de partenariat : que plus de jeunes entrent en politique. Car nous devons être lucides : jamais nous ne pourrons tenir en restant isolés. La France toute seule n'est plus une puissance capable de rivaliser avec les Etats-Unis, par exemple. C'est la France, dans l'Union, c'est l'UE qui peut peser sur la scène internationale. Les gens doivent comprendre ça. Donc, oui, j'irai voter.”
Joe, expatrié néerlandais au Cambodge
Joe n'ira pas voté aux élections pour le parlement européen ce week-end. L'expatrié qui a pris sa retraite en Thaïlande et ensuite au Cambodge, explique ne plus se sentir concerné par la politique européenne 12 ans après avoir quitté son pays.
“Pour moi, la situation est très claire: quand j'ai quitté mon pays en 2006, j'ai tout quitté derrière moi. Je n'ai plus droit aux bénéfices sociaux etc. Je n'y paie plus la taxe ou encore la sécurité sociale. Je suis maintenant un ‘Overseas citizen'. Un choix que Joe ne regrette pas.”
Malgré cela, s'informe-t-il de la politique en Europe à travers les médias ? “Je me fais un devoir de suivre la politique économique de l'Union Européenne pour comprendre l'économie globale mais c'est tout”, explique-t-il.
Laurent, expatrié au Mexique
Laurent est expatrié au Mexique depuis plus de dix ans. C'est après plusieurs voyages que l'énergique quarantenaire décide de s'installer définitivement dans le pays. En France, il a, notamment, étudié les relations internationales. Vadrouilleur et touche à tout, il s'est reconverti dans le coaching sportif.
Laurent nous donne sa vision de l'Union Européenne, nous livre ses rêves, et ses doutes.
“J'hésite. Parfois, c'est oui, parfois, c'est non. Je me déciderai sûrement au dernier moment. Mais je pense que j'irai voter. En général, je vote. Même si ma vie est au Mexique, mon coeur reste en France. J'y retourne d'ailleurs chaque année pour voir ma famille. Je sais bien qu'on parle des élections européennes, mais ça reste très lié à notre pays quand même. Donc, pour moi, la France. Je veux dire : les décisions prises par l'UE ont un impact sur la politique française.”
Laurent pense qu'on ne parle pas assez d'union entre les Etats. Il regrette le manque de coopération et de dialogue. “Je veux voir l'UE comme un système qui nous permette à tous d'aller de l'avant. Dans “Union Européenne”, il y a quand même “union”, non ? Mais les Etats font comme si ça n'existait pas, ou plutôt, ils s'unissent quand ça les arrange. Sinon, c'est la guerre. Par exemple, les taxes que doivent payer les grands groupes comme Google ? Si tous les Etats s'accordaient sur le pourcentage, il n'y aurait pas de paradis fiscaux. Mais on a le Luxembourg, et la Suisse, même si elle commence à lever un peu son secret bancaire. Je croyais qu'après l'affaire des Panama papers, les choses seraient plus transparentes, mais non. C'est ça qui énerve les gens. Les Etats nous prennent pour des pigeons : “venez voter pour qu'on puisse faire n'importe quoi !” C'est pour ça que beaucoup délaissent l'Europe, enfin, l'UE. Les gens en ont marre. Ils ne savent même pas pourquoi ils votent.”
Laurent veut cependant rester positif. “Je me dis que des gens se sont battus pour le droit de vote. Des gens sont morts pour ça. C'est quand même important, de voter. En général, je vote pour les présidentielles. Là, je suis régulier. Pour les européennes, ça dépend. Mais là, il y a tellement de mauvaises choses qui se passent dans le monde que je veux aller voter. Et puis, j'en ai assez de voir les euro-sceptiques et les populistes au premier plan. J'en ai assez d'entendre l'extrême-droite déverser ses idées fausses. Les gens n'y croient pas mais moi, je pense que le futur, c'est une Europe encore plus forte. Peut-être que dans cent ans, on sera même une fédération, qui sait ?
Pat, expatrié italien au Portugal
Pour Pat, voter aux élections européennes sera difficile cette fois-ci. La raison? Il devra parcourir 300 km pour se rendre à Lisbonne ou rentrer chez lui en Italie pour pouvoir voter. Le citoyen italien est furieux.
«J'ai reçu l'invitation de vote de l'ambassade d'Italie à Lisbonne, mais je peux seulement voter à condition d'aller jusqu'à l'ambassade à Lisbonne. Je n'ai pas le temps de parcourir 300 km (aller-retour) et j'estime qu'il s'agit d'une violation de mon droit de vote. Je devrais avoir le droit de voter par courrier ou en ligne. J'ai également reçu un rappelde la ville où j'habitais en Italie, m'invitant à y retourner pour voter pour les élections locales. Ils offrent une réduction sur le retour en train. Je suis sans voix…"
Pour lui, voter est extrêmement important. Pat est citoyen européen et en est fier. “Bien sûr, j'ai le droit de voter! Je me considère citoyen de cette Union, mes racines culturelles, historiques et linguistiques sont européennes. J'ai parcouru ce continent et je lui appartiens. Je suis désolé que le Royaume-Uni ait décidé de partir pour de nombreuses raisons, notamment parce que l'anglais est à toutes fins la langue commune de l'UE. "
Pat s'intéresse beaucoup, d'ailleurs, àpolitique européenne. "Je constate que l'Union est incomplète, nous devons voter et nous intéresser sérieusement aux travaux des commissions pour la renforcer et dépasser les intérêts des États."
Driss, expatrié au Royaume-Uni
Driss vit à Manchester depuis 2016. Il a suivi le référendum concernant l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union Européenne. Europhile convaincu, il n'imaginait pas que les euro-sceptiques l'emporterait. Aujourd'hui, le jeune trentenaire, en pleine reconversion professionnelle, hésite à s'expatrier à nouveau.
“A la base, je voulais créer mon entreprise ici, à Manchester. Attention, ce n'est pas le Brexit qui me pousse à changer de pays. C'est vrai que j'ai été très choqué par cette décision, d'autant plus que beaucoup de jeunes voulaient, et veulent toujours, rester dans l'UE. Je crois que beaucoup voudraient qu'on revienne sur le vote. Je suis sûr que même parmi les politiques, on veut ça. Mais, on ne revient pas sur un vote démocratique. C'est compliqué. Ça me rappelle mes cours de droits. C'est terrible de se dire que dans ce cas précis, alors qu'on voit bien qu'on fonce dans un mur, on continue de courir droit devant, parce qu'on a voté. Je pense que ça montre, quelque part, les limites du référendum. Tu demandes à des gens de voter pour un gros projet sur le très très long terme, alors que les gens voient à très très court terme. Ils ne vont pas penser au futur. Ils vont se dire : “j'ai faim maintenant.” “Je ne suis pas content maintenant.” “Je dis non.” Ils utilisent le vote comme un moyen de dire “y'en a marre”, sans penser à toutes les conséquences. On le sait, maintenant : les pro-Brexit ont mené de fausses campagnes. Ils ont menti, et berné les gens. Et les gens ont voté, plus par haine et par peur de l'autre. Je suis sûr qu'ils n'ont pas tous compris les réels enjeux du Brexit.”
Driss révèle avoir envie de voyager, de découvrir plus de pays. Pour lui, c'est ce qui peut renforcer le sentiment d'appartenance à un groupe plus vaste que son propre pays.
“Je suis très attaché au vote. C'est peut-être mon passé de juriste qui me pousse à y croire. Je crois également qu'être ouvert sur le monde est une bonne chose. En général, les expatriés que je rencontre sont tous comme ça : très tolérants, ouverts, compréhensifs. Ils veulent découvrir les autres. Ils n'ont pas peur de l'autre. Mais ces dernières années, on ne parle que de peur. Comme si vivre avec l'étranger devenait insupportable. On oublie qu'on est tous l'étranger de quelqu'un. C'est pour ça que je veux voyager. Je veux rencontrer des gens. J'en profite, car je suis célibataire, et sans enfants. Les choses seront sûrement différentes lorsque je voudrai me poser. Pour l'instant, je veux voyager. Et peut-être, dans un futur plus ou moins proche, faire quelque chose d'”europhile”. Je ne sais pas, m'investir dans une association, peut-être.”
Fred, expatrié britannique en Indonésie
Fred ne votera pas aux prochaines élections pour le parlement européen. Et ce, puisque ce britannique a abandonné sa nationalité quand il a obtenu la nationalité indonésienne. Malgré tout, la politique en Europe, il pourrait en parler pendant des heures. En effet, Fred soutient que s'il pouvait, il voterait.
“Je lis environ six sites d'informations en ligne tous les jours et plus si j'en ai le temps ou s'il y a une actualité précise. Je lis beaucoup sur le chaos qu'est l'Union Européenne. Je recommande le vote à ceux qui peuvent le faire. Si vous ne votez pas, vous rejetez la démocratie mais il faut aussi savoir accepter les résultats d'un vote. Il faut aussi prendre en considération le bien du pays quand l'on vote et pas son gain personnel.”
S'il est pour l'idée de l'intégration des pays d'Europe, il pense, toutefois, qu'il y a un manque d'uniformité et d'organisation. “Par exemple, l'on ne peut tout simplement pas unir une devise avec des unités de base aussi variées que l'Euro. La lire italienne et le Mark néerlandais ne sont tout simplement pas la même chose donc les unir ne va jamais marcher”, soutient-il.
Corenthin, expatrié en Allemagne
Corenthin vit en Allemange depuis trois ans. Il a suivi son épouse, qui a trouvé du travail à Berlin. Mais, depuis, le trentenaire avoue être parfois déphasé. Pour lui, l'Union Européenne est une union de façade.
“Je ne vote pas pour les élections européennes. Je ne savais même pas que ça existait ! Bon, je rigole, mais, je veux dire, c'est pas des élections importantes non plus”. Les élections, pour moi, c'est les présidentielles. Ça, oui, c'est important. Le reste... Et encore, même les présidentielles... On ne sait plus pourquoi on vote. Pour qui on vote. Les politiques nous mènent en bateau. Et c'est pire avec la soi-disant UE. Union pour l'argent, oui, mais certainement pas pour le bien des habitants. On est trop nombreux. On a aucunes valeurs communes. Toutes les colères qui montent prouvent bien que ça ne marche pas. Les “Gilets Jaunes”, ce n'est pas qu'en France. C'est l'UE qui est responsable de tout ça.
Corenthin précise sa pensée : pour lui, les dirigeants ne font rien pour comprendre les habitants.
“Les chefs d'Etats parlent leur langue. Ils parlent avec les gens comme eux, avec les riches. Les autres, ils s'en moquent. C'est encore pire quand tu n'as pas fait d'études. Tu galères. On parle du miracle Allemand. Surtout en France. Quand je vivais encore là-bas, je ne comptais plus les reportages élogieux sur l'Allemagne. Je voudrais qu'on fasse plus de reportages sur la réalité. Quand tu n'as pas les diplômes, quand tu ne trouves pas d'emploi, quand tu es forcé de faire des formations ou d'accepter des jobs que tu ne veux pas faire. On nous traite comme des gosses ou des imbéciles ! On perd notre liberté. On doit accepter n'importe quoi. C'est pas ça, la vie. L'Europe, c'est un briseur de rêves.”
Simon, expatrié britannique en Autriche
«C'est un droit de vote pour lequel d'autres se sont battus et sont morts dans le passé pour que nous l'ayons. Il est important d'être représenté dans n'importe quel parlement pour que quelqu'un se batte pour vos droits. Vivre dans une régiondémocratique du monde veut dire vous avez votre mot à dire sur qui vous représente. Il y a des gens dans le monde qui n'ont pas ce choix et vivent sous une dictature ». Pour Simon, ne pas voter serait absurde.
L'expatrié britannique qui vit et travaille actuellement en Autriche est autorisé à voter au Pays de Galles, au Royaume-Uni ainsi qu'en Autriche. Il n'a le droit de voter qu'une seule fois et, comme il n'a pas reçu son bulletin de vote du Royaume-Uni, Simon votera en Autriche dimanche prochain.
Mariella, expatriée au Japon
Expatriée depuis un peu plus de sept ans, Mariella est une jeune mariée, et mère de famille. Un peu inquiète pour l'avenir, elle reste cependant convaincue de l'importance d'aller voter.
“Quand je suis venue au Japon, j'ai découvert qu'ici, on ne parle pas politique ! En France, j'étais habituée aux débats musclés devant la télé, avec la famille... Ici, rien. Les gens ont bien des opinions, mais ils les gardent pour eux, de peur de provoquer le débat, justement... On finit par s'y faire, même si, avec mon mari (il est Japonais), nous aimons discuter de ce genre de sujet. J'ai même réussi à embarquer ma belle-famille, ainsi que nos amis proches, dans nos conversations animées !
Avant, je crois que je votais par habitude. Mes parents votent, je vote. Je savais que les politiques feraient ce qu'ils pourraient, au final. Ou, ce qu'ils voudraient. C'est quelque chose qui m'énerve, aujourd'hui encore. J'aimerais que la parole des citoyens soit plus entendue. C'est pour ça qu'en France, je militais dans des associations. Au Japon, je ne le fais pas encore, mais, qui sait !”
Si elle profite, pour l'instant, de sa vie de jeune mariée, Mariella pense également à son futur. “Mon mari aimerait s'expatrier ! Il aime beaucoup la France. Nous ne nous voyons pas toujours rester au Japon. Enfin, nous avons encore le temps d'y penser. Pour revenir sur le sujet de la question, aujourd'hui, je vote car je crois que c'est notre arme. En votant, on peut faire changer les choses. Voter, c'est participer à la vie politique. C'est faire de la politique, en quelque sorte ! C'est ici, au Japon, à des milliers de kilomètres de la France, que j'en ai pris conscience. A cause de la crise, beaucoup ne voient que des inconvénients à l'UE. Il faut dire qu'on met souvent en avant le négatif, moins le positif. Les dirigeants européens devraient mettre plus d'humain. Changer le curseur, et se mettre à l'échelle humaine.
Ils devraient aussi arrêter de prendre des décisions stupides et de se faire avoir par les lobbys. C'est rageant. On a parfois l'impression que la parole d'un Monsanto pèse plus que celle d'un chef d'Etat. Le monde, c'est pas que le financier, l'argent. Ceux qui s'opposent à l'interdiction des pesticides, ceux qui votent des lois absurdes, ne vivent pas à côté des champs incriminés. Ils ne respirent pas cette pollution à longueur de journée. Parfois, j'aimerais que les présidents vivent notre vie quelques temps. Ils nous comprendraient peut-être mieux.”