S'expatrier n'a jamais été une chose facile et il peut l’être encore moins quand on est femme. Tantôt femme active, occupant un poste clé, tantôt conjoint-suiveur et mère de famille, deux femmes nous parlent des défis qu'elles ont eu à surmonter, mais aussi de leurs efforts pour trouver le juste milieu.
Camilla Quintana: conjoint-suiveur, maman et coach de vie pour les expatriées
Camilla est originaire de Vienne, en Autriche. Il y a deux ans et demi, elle s'est installée à Bilbao, dans le nord de l'Espagne, avec son époux et leurs trois enfants âgés de six ans, cinq ans et quatre mois, respectivement. Camilla s'est expatriée pour la première fois à l'âge de 18 ans, d'abord en tant qu'étudiante de premier cycle au Royaume-Uni, puis en tant qu'étudiante diplômée et professionnelle en Espagne.
C'est à son retour en Autriche qu'elle a rencontré l'Espagnol qui est aujourd'hui son époux. Depuis, elle est devenue un conjoint-suiveur. La carrière de son époux l'a conduit à Munich, Madrid, Vienne et, à présent, à Bilbao.
Camilla est coach de vie et de relations certifiée, spécialisée dans le domaine des femmes devenues conjoints-suiveurs. « En tant que conjoint-suiveur, il est facile de se sentir déconnecté de soi-même, de notre conjoint et de la vision à long terme de notre vie. Mon programme de coaching signature a pour objectif d'accompagner les femmes à travers le tourbillon des émotions qui sont en jeu, les aide à récupérer leur pouvoir intérieur et à créer une vie épanouie et motivée de par leurs conditions », explique-t-elle. Camilla est également l'animatrice du podcast The Empowered Expat Wife, qui traite des préoccupations des expatriées telles que le bien-être émotionnel, l'indépendance financière, les possibilités de carrière mobiles, les relations et les enfants de troisième culture.
Pour sa part, Camilla n'a pas vraiment eu de mal à trouver l'équilibre entre le fait d'être une expatriée, une maman et une femme de carrière. « Je travaille le matin et le soir, ce qui me permet de passer l'après-midi avec mes enfants. Mon travail ne me ressemble pas vraiment au travail que vous connaissez tous. Le lundi est donc mon jour préféré puisque je peux y retourner après le week-end », dit-elle.
Nous avons demandé à Camilla comment le fait d'être expatriée l'a aidée à grandir en tant que mère, professionnelle et humaine. « Il y a des moments dans votre vie à l'étranger où vous serez mis à l'épreuve. Les problèmes peuvent vous sembler amplifiés puisque que vous vous retrouvez en dehors de votre zone de confort. De telles expériences peuvent soit vous construire ou vous briser. Dans mon cas, l'expatriation m'a rendu plus forte et extrêmement connecté à moi-même. J'ai également développé une sensibilité particulière, une ouverture d'esprit et une résilience qui comptent énormément pour moi. Élever des enfants bilingues de troisième culture m'a permis de réfléchir à ce que je voulais leur transmettre. Donc, cela m'a rendu plus intentionnel dans la façon dont je les élève. Je pense aussi qu'être loin de chez moi me permet de vraiment les voir pour qui ils sont et non pas par rapport à leurs petits camarades ou à travers l'optique culturelle de mon pays d'origine. Enfin, être un conjoint-suiveur m'a poussé à sortir des sentiers battus et à accorder plus de temps et d'énergie à mon développement professionnel. Créer une entreprise portable en ligne a changé la donne pour moi et je suis très fière de servir la communauté des expatriés. Cela me permet de me sentir chez moi ».
En tant que maman expatriée, sans pouvoir compter sur le soutien des grands-parents, des membres de la famille et des amis de longue date, Camilla estime qu'elle doit répondre aux attentes dignes de ce qu'on a d'un super-héros. « Je ressens souvent le besoin de compenser l'absence de notre famille élargie. Des fois, il m'arrive de me sentir coupable lorsque je fais quelque chose pour moi quand mes enfants sont à la maison. Ce qui m'aide, c'est l'auto-compassion. Quand je suis frustrée après une journée stressante avec les enfants, je reviens dans le moment présent, me rappelant que les enfants grandissent si vite et que dans quelques années à peine, ils auront de moins en moins besoin de moi. En regardant les choses de cette façon, ma frustration se transforme rapidement en gratitude de pouvoir profiter pleinement de mon rôle de maman. Cette stratégie fonctionne pour moi parce que je prends bien soin de moi autrement. Mon entreprise de coaching est un débouché intellectuel et professionnel. J'étudie et lis beaucoup sur le développement personnel, et je m'entoure délibérément de personnes qui m'aident à m'élever davantage ».
Camilla en profite pour saluer les mamans expatriées qui font un excellent travail sans qu'elles s'en rendent compte, peut-être bien plus que ce que d'autres peuvent comprendre. Selon elle, la recherche proactive d'un réseau de soutien, physique ou en ligne, peu importe la difficulté et la lenteur de la tâche, devrait être votre priorité. « La meilleure chose est de devenir votre propre système de soutien », dit-elle, « non pas parce que vous n'avez pas besoin d'autres personnes dans votre vie, mais parce que lorsque vous êtes seule et que la vie vous semble difficile, vous devrez vous être là pour vous-même. Faites donc preuve de compassion envers vous-même. Reconnaissez et acceptez vos sentiments, les bons comme les mauvais. Soyez attentive à vos besoin actuelles et essayez de vous l'accorder. Soyez reconnaissante pour les choses que vous faites pour vous, car vos enfants et votre époux n'en font peut-être pas assez. Lorsque vous vous faites des promesses, assurez-vous de les tenir ».
Pour Camilla, la Journée internationale de la femme signifie donner aux femmes et aux filles de toutes origines les moyens de savoir et de croire qu'elles peuvent être celle qu'elles choisissent d'être. De présidente ou PDG à femme au foyer, en passant la maman qui fait l'école à la maison et tout le reste. « Pour créer ce monde, nous devons toutes y apporter notre contribution. Soutenons-nous et apprécions-nous les autres femmes dans nos vies ? Leur faisons-nous des compliments sincères ? Célébrons-nous leurs succès ? Sommes-nous des personnes sur lesquelles elles peuvent compter en cas de besoin ? Encourageons-nous d'autres femmes à poursuivre leurs rêves et les invitons-nous à s'asseoir à notre table lorsque nous aurons accompli les nôtres ? Pour que les femmes vivent dans un monde où elles peuvent être en sécurité, en bonne santé, respectées, indépendantes et tout aussi prospères, il y a de nombreuses choses que nous devons prendre en compte. Ces choses prennent du temps, certes. Il n'empêche que chacune d'entre nous peut, des maintenant, commencer à soutenir d'autres femmes. Nous sommes tous dans le même bateau et c'est en nous rassemblant que nous allons avancer ».
Citlalli Morelos-Juarez : chercheuse en biodiversité à l'étranger
Citlalli vit, depuis 2015, en Équateur où elle travaille comme chercheuse en biodiversité. Après avoir obtenu sa maîtrise et son doctorat au Royaume-Uni, elle a déménagé en Équateur pour travailler sur un projet de conservation qu'elle avait développé pendant ses recherches de doctorat à l'Université du Sussex.
Aujourd'hui, la réserve de Tesoro Escondido, avec la collaboration de la Fondation Jocotoco, protège plus de 2 000 hectares de forêt primaire dans les basses terres du Chocó, un endroit clé pour la biodiversité mondiale qui est cependant sous la menace des activités anthropiques telles que l'extraction de bois, la monoculture et les concessions minières. « Je suis la directrice de la réserve Tesoro Escondido, responsable de la recherche scientifique, ainsi que des collaborations avec des universités et d'autres ONG. Entre autres, j'assure la formation des populations locales en tant qu'assistants de recherche (para-biologistes) et éducateurs en environnement. Je m'occupe aussi de la conception des programmes d'éducation environnementale et de sensibilisation communautaire, je fournis des rapports aux donateurs et j'organise des collectes de fonds », explique Citlalli.
Pour Citlallis, les jours sont loin de se ressembler. Quand elle n'a pas de réunions avec le personnel pour organiser le travail de terrain, elle vérifie les données collectées et se concentre sur les différents projets tels que la surveillance des amphibiens, la propagation des arbres en danger critique d'extinction, sans oublier la surveillance du primate singe à tête brune qui est en danger critique d'extinction. « Dernièrement, je me suis accordé du temps pour apprécier la vie et je me suis résolue à ne pas passer tout mon temps à travailler. Je me suis initiée à des activités comme l'escalade et je dois dire que l'Équateur est un endroit idéal pour cela. J'aime aussi faire la lecture, la danse, le yoga, méditation, écrire et sortir avec des amis ».
Nous avons interrogé Citlalli sur la sous-représentation des femmes scientifiques et de la manière dont nous pouvons apporter plus de soutien aux femmes scientifiques. « Même si le nombre de femmes qui étudient la biologie et la conservation est élevé, les hommes sont plus nombreux que les femmes à occuper des postes clés dans ce domaine. Fort heureusement, les choses sont en train d'évoluer petit à petit. De plus en plus de femmes ont la chance de s'organiser pour s'exprimer et réclamer ces espaces. En Amérique latine, de manière générale, nous devons faire face à des stéréotypes sur ce qu'une femme devrait ou ne devrait pas faire. Souvent, le travail d'un scientifique relève d'activités à risque, ou d'activités qui prennent trop de temps, nécessitent des déplacements, de longues heures loin de chez soi, etc », explique-t-elle.
Elle poursuit que « nous avons la capacité de changer les images simplifiées de la femme en étant de bons modèles pour les filles qui suivront notre exemple. Nous devons éduquer nos enfants, et en particulier nos filles, afin qu'ils puissent réaliser que tout ce qu'ils veulent accomplir, quel que soit leur sexe, y compris une carrière dans le domaine de la science, est accessible. On devrait éduquer les filles de manière à ce qu'elles sachent qu'être une femme ne signifie pas qu'elles sont plus faibles ou qu'elles ne peuvent pas occuper certains postes. On devrait aussi apprendre aux jeunes hommes qu'il est important de soutenir les rêves et les activités de leurs sœurs, amies, partenaires, mères. L'égalité des sexes est une chose qui doit venir du cœur. Elle doit être intégrée dans les programmes scolaires, faire partie des priorités des États et, bien sûr, devenir la norme à la maison. Nous pouvons soutenir les femmes scientifiques en créant des espaces pour qu'elles puissent parler de leurs emplois et de leurs activités, partager leurs rêves et raconter leurs histoires afin qu'elles aient plus de visibilité au sein de la société, dans les écoles, les universités, les médias, etc ».
Quand Citlalli a pris son poste de présidente, de nombreuses personnes dans le contexte rural ont trouvé étrange de suivre ses directives ou ses décisions. « Mon assistante est aussi une femme, donc pour nous deux, c'était assez difficile au début. Les gens recherchaient toujours le responsable. Mais aujourd'hui, je dois dire que les choses se sont améliorées. J'ai eu beaucoup de chance d'avoir pu atteindre ce poste, et je suis respectée par mes collègues. Bien sûr, je suis bien consciente du fait que ce n'est pas le cas pour tout le monde ».
Citlalli est originaire du Mexique et en raison de la pandémie, elle ne sait pas quand elle pourra rentrer chez elle. Si elle est reconnaissante pour le soutien que lui apportent ses collègues et ses amis en Équateur, le sentiment d'être dans un endroit qui « l'a vu grandir » lui manque énormément.
A l'occasion de la Journée internationale de la femme célébrée ce lundi, Citlalli a un message important à faire passer : « Je travaille avec beaucoup de femmes rurales et à travers mes projets j'essaye de les autonomiser chaque jour. Il y a bien sûr des revers, mais aujourd'hui, nous avons la chance de pouvoir revenir sur nos nombreuses réalisations au cours des cinq dernières années. Pour le monde entier, cette journée est l'occasion de s'arrêter et de réfléchir à ce que nous pouvons faire d'autre pour garantir l'égalité et la liberté dans tous les aspects de la vie des femmes ».