Derrière cette belle plume et ce ton plein d'humour se cache Amath, Sénégalais d'origine venu s'installer à Bruxelles depuis maintenant 1 an. Au travers de cette interview, il nous raconte son arrivée dans la capitale et sa vision du plat-pays.
Bonjour Amath, peux-tu te présenter brièvement et nous raconter tes projets à Bruxelles ?
Le projet de vie à Bruxelles est sorti du chapeau du magicien alors qu'il n'était pas prévu au programme. J'ai rencontré mon épouse à Dakar en 2005. Elle est franco-belge, avec ses parents et des amis en Belgique, ce qui nous a amenés tous les ans depuis 2006 à y passer quelques jours à l'occasion des vacances d'été ou des fêtes de fin d'année. Nous avons une petite fille née en 2009 et il était convenu que je les accompagne dans sa future destination de travail, pour autant que les conditions de vie et de travail me permettent d'y survivre. A la fin de son séjour au Sénégal, des destinations lointaines lui ont été proposées : Japon, Singapour, Bolivie, et pendant que nous nous torturions l'esprit pour trouver la moins compliquée à gérer, une petite fenêtre s'est entrouverte pour Bruxelles, dans laquelle nous nous sommes engouffrés, et donc nous voilà !
Tu es sénégalais, comment s'est passée ton arrivée en Belgique ? Les formalités étaient-elles longues ?
Il faut dire que depuis août 2015, date de notre départ de Dakar, nous avons crapahuté dans tous les sens, et n'eut été l'hospitalité de bons amis bruxellois, nous aurions pu faire la une des journaux télévisés dans la rubrique "migrants", celle qui refuse du monde actuellement. De fait, nous avons passé l'essentiel du mois d'aout à préparer l'arrivée de notre déménagement : identification des services administratifs, des équipements domestiques (ikéa, électroménager, téléphone et internet), recherche d'une voiture et le 24 aout, une équipe de déménageurs nous a déversé toutes nos affaires dans un R+2 dont la superficie représente le tiers de notre espace vital de Dakar. Il a donc fallu ruser et optimiser, à la sueur de notre front car si les maisons sont ici saturées de lave linge, sèche linge et autres lave-vaisselle, il n'y a pas encore d'alternative au manœuvre, main d'œuvre qualifiée dont la force de travail se concentre essentiellement sur sa puissance musculaire. Ceci pour dire que contrairement au Sénégal où on peut louer des bras pour 3 francs 6 sous, ici, une opération commando chez ikéa se solde immanquablement par la gestion horizontale et verticale de la totalité du chargement. Et tant pis si l'armoire pèse 125 kgs, heureusement qu'elle est livrée en pièces détachées.
Heureusement, même les mauvais films ont une fin, et notre maison a vite commencé à ressembler de plus en plus à un domicile, et de moins en moins à Verdun.
Elle est devenue parfaitement habitable, avec tout le confort moderne. Il y a presque une télévision par habitant, donc paix sociale garantie, et une bande passante d'internet qui ferait passer la 3G d'Orange Sénégal pour le petit train de banlieue. J'ai trouvé un quartier à ma taille: XL. Prononcer Ixelles dans le patois local. C'est une commune de Bruxelles dans laquelle nous avons deux étangs garnis d'animaux à plumes et de joggeurs de tous poils, et nous avons même la place Flagey qui fait figure de mini quartier latin.
Qu'est-ce qui t'a le plus surpris et/ou qui continue à te surprendre chez les belges ?
La tranquillité de la vie, pour une capitale, les grands espaces de promenade à pied, vélo ou roller, ainsi que le climat bruxellois. Venant de Dakar, grande métropole africaine trépidante où chaque jour est un combat, la Belgique est assez surprenante par sa qualité de vie, la bonhomie de ses occupants et surtout le sens de l'humour des belges.
Pas étonnant que ce soit le pays de la BD. Imaginez un pays grand comme une cabine téléphonique, mais dans laquelle ils auraient réussi la prouesse d'y monter deux combinés : un qui parle français, et un autre néerlandais. Il devient alors impossible de synchroniser les conversations. Imaginez un pays où on vous dit "s'il vous plait" pour vous rendre la monnaie, et où on vous demande "ça va ?" après chaque explication. On a presque envie de passer sa journée dans les commerces et les administrations pour avoir le plaisir de les entendre nous parler avec douceur et sourire. Ceci dit, malgré toute la courtoisie relevée, l'administration belge reste une ... administration : pointilleuse, avec un sens de l'organisation et de la logique qui défie le bon sens.
Il reste quand même un domaine dans lequel wallons, flamands, pièces détachées et valeurs ajoutées sont logés à la même enseigne, c'est le temps. Certains esprits chagrins prétendent qu'en Belgique il pleut tout le temps: c'est faux !!! En fait il y pleut tous les jours… un peu, souvent. Mais comme une girouette, la météo évolue sans cesse, faisant du plat pays le seul endroit au monde où l'on peut voir défiler les quatre saisons dans la même journée.
Car ce n'est pas une légende, la Belgique a quelques problèmes d'étanchéité, avec des infiltrations d'eau quasi quotidiennes, accompagnées de séances de frigo qui s'installent sitôt que le soleil se met au vert, et d'après les indigènes, il ne va pas tarder à aller en grandes vacances car lui aussi va se mettre à mi-temps jusqu'au mois de mai...
De ton point de vue, comment décrirais-tu la société et la culture belge ?
A mon humble avis, cette petite Belgique, accessible, sans autre prétention que de faire les meilleures frites et parmi les meilleures bières au monde a réussi ce que la France tente désespérément de faire depuis qu'elle a coffré Napoléon à Ste Hélène sans jamais y parvenir: la décentralisation. Etant restée une monarchie, la belgique assume parfaitement son histoire et cultive avec soin son patrimoine humain, architectural et toutes les formes de privilèges qui donnent ici bas un avant-goût du paradis.
Il est vrai que Bruxelles a un statut particulier, en tant que capitale de la Belgique et de l'Europe: elle concentre les citoyens belges de toutes les communautés, les fonctionnaires nationaux, les agents de la Commission Européenne, toutes nationalités confondues, les fonctionnaires internationaux de tous horizons (siege de l'OTAN) ainsi que toute la faune des migrants venus de France, (parfois attirés par le statut d'évadés fiscaux), d'Espagne et d'Italie, venus à l'époque travailler dans le charbon et le textile, les polonais et les roumains, venus pour les mêmes raisons, les congolais, venus rendre la monnaie de sa pièce à l'ancien colon, et une armée mexicaine de marocains venus on ne sait trop comment, et qui aujourdhui constituent la troisième communauté étrangère en Belgique, qui s'illustre tristement comme sanctuaire de la nouvelle gangrène: les djihadistes, avec pour quartier général le funeste Molenbeek.
A l'arrivée, plus d'un bruxellois sur trois est un étranger, les deux tiers restants se partagent en wallons et flamands, ce qui fait que dans cette tour de Babel où toutes les langues de l'univers s'entrecroisent, on a bien conscience qu'on est étranger, mais on ne sait plus par rapport à qui…
Parce que l'exception culturelle belge, c'est justement qu'être belge n'est pas un full-time-job. On l'est à temps partiel, les soirs de matchs de foot où l'équipe nationale se produit. Le reste du temps, on est wallon ou flamand, et tous les actes de la vie quotidienne sont déclinés sous ce rapport.
Ainsi, nous tenons là la clé du miracle Belge, le seul pays au monde qui peut se passer de gouvernement central, d'aucuns disent que les affaires marchent mieux sans gouvernement fédéral qu'avec, car il ne sert à rien d'autre qu'à la défense nationale et aux affaires étrangères, les affaires intérieures étant gérées par les gouvernements des communautés, les gouvernements de régions et surtout les communes qui centralisent des pouvoirs inédits dans nos cultures franco-sénégalaises d'inspiration jacobine.
Dans les faits, la commune est toute puissante car c'est elle qui règle la vie du citoyen par un rapport de proximité qui s'apparente à un fliquage en règle.
Sans immatriculation à la commune point de salut: impossible d'avoir une adresse postale, un contrat de de fourniture d'électricité, une puce téléphonique, une immatriculation de voiture et encore moins une allocation familiale. Quant à espérer échapper au système de collecte des taxes en tous genres, à moins de migrer dans le maquis et de renoncer à toute vie civilisée, il vaut mieux oublier.
Parce que dans ce pays décentralisé, tout le système d'information converge vers les services communaux qui ont toute latitude pour lever des taxes de services couvrant leurs charges de fonctionnement, leur caisse de solidarité ainsi que leur contribution au budget national. Car contrairement à nos règles établies, au pays de la frite, c'est le local qui nourrit le national !
Ici, la gentillesse et la disponibilité des agents municipaux n'ont d'égale que leur âpreté au gain. Tout service public se révèle payant, à des taux souvent spéculatifs, avec des cumuls de droits et taxes qui feraient rougir de confusion Orange et Apple réunis. Certes vous êtes très bien servis, mais vous en payez le prix et vous pouvez compter sur les agents municipaux rompus à l'exercice pour vous soutirer jusqu'au dernier centime avec le sourire, ponctué d'un très convaincant “s'il vous plait” !
Quant à l'efficacité, elle laisse malheureusement souvent à désirer car les procédures sont complexes, le personnel est certes bilingue, mais ne maîtrise pas forcément toutes les subtilités de la règlementation et de plus, on a souvent l'impression diffuse qu'on nous cache quelque chose pour justifier qu'on repasse à la caisse à la prochaine occasion.
Le rythme belge est, je suppose, différent du rythme sénégalais, pourrais-tu nous décrire une journée type en Belgique ?
La journée belge est rythmée par … le temps ! Selon qu'il fasse sec et ensoleillé, ou sombre et humide, la population flâne ou détale, s'expose ou se terre. Il en va ainsi des rues, des parcs et espaces verts, des places, des terrasses de cafés et des magasins. Et au moindre rayon de soleil, les bruxellois fleurissent partout avec leur repas, leur boisson ou leur journal, et colonisent trottoirs, espaces verts et parcs sous l'œil bienveillant de la police qui veille au respect de l'ordre public sans zèle ni nonchalance.
Bruxelles a l'avantage d'être une ville à taille humaine, de ce fait les distances ne sont pas trop grandes et le réseau de transports publics me parait bien organisé. Cependant, une incongruité demeure : nous sommes dans la capitale de l'Europe, fréquentée par toutes sortes d'étrangers, et il n'y a pas de plans de quartiers aux coins de rues, arrêts de bus, tram et métro. Sans GPS, point de salut.
Quelle est ta perception de la cuisine belge ?
De fait, nous n'avons pas encore goûté à la cuisine traditionnelle belge, d'abord parce que les restaurants ne sont en général pas très bon marché, et que pour une première année, avec tous les frais d'installation, le budget réjouissances est passé en arrière-plan, et aussi parce que Bruxelles regorge de restaurants de toutes origines, à l'image de la population cosmopolite qui s'y trouve. On peut donc aisément y trouver la cuisine des cinq continents, ainsi que toutes les spécialités locales : moules, waterzooi etc… Mais que ceux qui n'aiment pas la bière passent leur chemin.
Mis à part Bruxelles, où tu résides, quelles villes de Belgique as-tu pu visiter ? Quelles ont été tes impressions ?
Les mauvaises langues disent que dès qu'on fait plus de deux heures en voiture, on est hors des frontières belges… ce qui donne une idée de l'exiguïté du territoire. Circonstance aggravante, les procédures d'obtention de la carte de séjour d'étranger prennent six longs mois au cours desquels il est formellement interdit de quitter le territoire, sous peine d'annulation de la procédure.
C'est l'occasion de visiter le royaume et ses différentes villes et provinces, et selon ses centres d'intérêts, les occasions ne manquent pas : Namur, Bruges, Ostende et la mer du nord, sans oublier le circuit automobile de Spa Francorchamps pour les amateurs de courses comme moi, tout est à portée de main, résolument tourné vers le tourisme et on a le sentiment partout qu'on est attendu et bienvenu.
La Belgique a connu des périodes troubles récemment avec l'attentat à Zaventem et la mauvaise image du quartier de Molenbeek, en tant qu'expatrié, comment as-tu perçu ces événements ?
En tant que citoyen du monde, je suis conscient que le terrorisme aveugle puise sa source dans le choc des civilisations et qu'aucun endroit sur terre ne peut se déclarer hors d'atteinte. N'ayant pas été personellement exposé physiquement aux attentats et autres tensions, j'ai pu observer avec beaucoup de recul l'attitude digne et responsable des habitants face à ce péril qu'ils découvraient, et dont ils ne comprenaient pas les ressorts puisque les principaux protagonistes venaient d'ailleurs. Ils ne se sont même pas indignés contre l'opinion publique française qui accusait la Belgique de laxisme et d'amateurisme face à la menace terroriste, oubliant au passage que cette racaille était la sienne, et qu'il aurait été de bon ton de s'excuser auprès des belges de les avoir contaminés.
Quels conseils donnerais-tu à ceux qui souhaitent s'expatrier en Belgique ?
De venir dans la capitale de l'Europe ! D'autant qu'avec le départ annoncé des anglais, il va y avoir de la place. Même si l'Union Européenne est moribonde, elle survivra, Bruxelles gardera son côté cosmopolite, à cheval entre les atmosphères latine, germanique et scandinave. On s'y loge facilement et à bon prix, la vie est agréable et les gens courtois. De plus, les dessertes auto, train et avion sont aisées vers toute l'Europe et au-delà. Je ne saurais m'étendre sur les conditions de travail car j'ai conservé mes activités au Sénégal grâce au télétravail, étant arrivé en Belgique sans expérience ni référence locale, à un âge où on commence à préparer sa retraite. Mais il me semble que l'anglais est nécessaire pour trouver un travail intéressant, à défaut de parler le néerlandais, car la Belgique est résolument bilingue.