Nouveau tour de vis à Pékin. Dès le 5 mai, de nouveaux tests sont obligatoires : transports publics, lieux de culture, évènements sportifs, restaurants… De nombreux lieux publics sont touchés par cette nouvelle réglementation. Désormais, impossible, par exemple, d'assister à un évènement sportif sans test PCR de moins de 48h et attestation de vaccination. Pour espérer soulager la population, les autorités locales rendent tous les tests PCR gratuits dès le 3 mai. Pas sûr que cela apaise les inquiétudes et la grogne de la population. Côté expatriés, la lassitude fait place à la déception. Peut-on rester en Chine dans ces conditions ?
La Chine s'enferme dans sa politique zéro Covid
Alors que les épidémiologistes s'accordent pour remettre en cause la politique « zéro Covid », la Chine est l'un des derniers pays à s'y enfermer. Pour les experts, Omicron rend pourtant, inefficace, sinon dangereuse, cette politique pour l'économie du pays. Shanghai s'enfonce dans un confinement sans fin. Le même sort menace Pékin, qui, mercredi dernier, a dépassé les 100 cas positifs à la Covid. Le 29 avril, la Chine continentale enregistre près de 30 000 cas par jour, dont un grand nombre à Shanghai. Pékin s'inquiète aussi. Depuis la semaine dernière, elle s'est lancée dans une vaste campagne de dépistage. Le quartier animé de Chaoyang est passé sous cloche. Même mesure pour Tongzhou. En isolant quartier par quartier, les autorités locales espèrent éviter le confinement de toute la ville, comme à Shanghai.
Shanghai, qui subit déjà les conséquences économiques et sociales de ce confinement sans fin. Pénuries de nourriture, problèmes de ravitaillement. La grogne s'exprime sur les réseaux sociaux. Locaux et étrangers partagent un même sentiment d'abandon. Pour les expatriés, ce nouveau recul de la Chine est le recul de trop. « Alors que tous les pays rouvrent leurs frontières, la Chine les ferme. Alors qu'on regarde tous vers l'avant, elle ne regarde qu'elle. Elle nous traite comme si nous ne valions rien. Ça suffit. Je joue le jeu. Je suis vacciné, multi-testé. Qu'est-ce qu'il faut de plus ? Impossible de vivre, de travailler. Ce n'est pas la Chine que je connais », s'emporte un Britannique employé de banque, immigré à Pékin depuis quinze ans. Il a décidé de retourner au Royaume-Uni. Un retour qu'il dit définitif.
La crise sanitaire a-t-elle fait fuir les expatriés ?
Avant la crise sanitaire, croissance économique chinoise rime avec augmentation du nombre d'expatriés. Près de 850 000 étrangers résident en Chine entre 2010 et 2020. C'est nettement plus que la décennie précédente (environ 590 000 étrangers). Les quelque 600 000 étrangers vivant à Hong Kong, Macao et Taïwan ne sont pas inclus dans ce compte. En parallèle, la Chine connaît une croissance économique exponentielle. Une croissance quasi continue depuis son ouverture à l'économie de marché, au début des années 80. Entre 1980 et 2017, le PIB chinois augmente d'environ 10 % par an. Une prospérité qui attire investisseurs et talents étrangers. Shanghai, Pékin, Shenzhen ou Guangzhou deviennent les cités économiques et les villes les plus riches du pays. Entreprises et salariés étrangers s'y pressent pour vivre le miracle chinois. Avant la Covid, un peu plus de la moitié de ces immigrés en Chine sont des femmes, et s'installent durablement sur le territoire (plus de 5 ans), principalement dans les grandes villes. Plus de 160 000 étrangers vivaient à Shanghai en 2020. Ils étaient plus de 60 000 à Pékin.
La Covid-19, et, surtout, la stratégie chinoise pour lutter contre la crise a changé la donne. La deuxième puissance économique mondiale perd en popularité auprès des expatriés. La crise coupe net l'explosion économique chinoise. La croissance repart dès 2021, mais le vent a tourné. Les filiales étrangères présentes en Chine font face, impuissantes, au départ de leurs expatriés. La stratégie zéro Covid nuit aux échanges commerciaux. Impossible ou presque de sortir du territoire. Et si l'on sort, on n'a aucune certitude de pouvoir revenir, et de retrouver son entreprise. Les filiales de groupes étrangers auraient déjà perdu 15 % de leurs effectifs par rapport à 2019. Et les départs s'accélèrent cette année. « Mes amis partent les uns après les autres. Ils me disent tous que Shanghai est la goutte de trop », s'alarme un Français résidant à Shenzhen. Lui-même se demande s'il restera en Chine. « Rien n'est comme avant. L'ambiance est étrange, ici. » Un sentiment partagé par Grégory Prudhommeaux, qui témoigne pour le média L'Usine nouvelle, le 21 février dernier : « Dans mon entourage, j'ai compté 60 départs depuis deux ans. Cela crée une ambiance un peu anxiogène ».
Quel avenir pour la Chine ?
Les entreprises étrangères peuvent-elles compenser le départ de leurs salariés ? Encore faudrait-il qu'elles puissent embaucher. Avec des visas accordés au compte-goutte, impossible d'assurer le turn-over. Les candidats à l'expatriation eux-mêmes redirigent leurs choix sur d'autres pays d'Asie. La Chine et sa politique d'enfermement font fuir. Faut-il pour autant parler d'exode ?
Non, selon les experts, pour qui ce départ des expatriés a commencé avant la Covid. S'ils reconnaissent une accélération des départs depuis la crise sanitaire, ils retiennent que la Chine n'est pas un pays d'immigration de très longue durée. Sur la période de croissance 2010-2020, 20% des expatriés de Shanghai ont quitté la Chine. A Beijing, l'érosion est plus sévère encore : -40%.
Et si tout cela entrait dans la stratégie de Xi Jinping ? Celui qui clame toujours l'efficacité de sa politique zéro-Covid est aussi celui qui, petit à petit, tente de se passer des lourds investissements étrangers. Exporter massivement à l'étranger, mais devenir autosuffisant. Profiter du savoir-faire des talents étrangers, puis profiter de leur départ pour favoriser les talents locaux. S'imposer comme l'homme fort du pays et du monde. Après le 6e plénum de novembre 2021, qui a encensé le PCC (Parti communiste chinois) et donc, Xi Jinping, cette année voit se tenir le 20e Congrès du Parti. Congrès au cours duquel sera discutée la reconduction de Xi Jinping pour un troisième mandat.
Certain de rester au pouvoir, le président chinois reste dans sa stratégie. Les atermoiements des investisseurs étrangers ne semblent pas le perturber. Mais pour combien de temps ? La guerre en Ukraine montre une Chine soucieuse de préserver ses contacts, et avec la Russie, et avec l'Occident. Une position d'équilibriste difficile à tenir sur le long terme. En attendant, les expatriés continuent de quitter le pays.