Installée à l'île Maurice depuis août 2021, Sandra Leblé est entrepreneuse et coprésidente de la French Tech Mauritius. Coach Professionnel de profession, elle nous livre ses impressions sur l'écosystème entrepreneurial à l'île Maurice, mais aussi dans la région Afrique / océan Indien qui, selon elle, regorge de potentiel pour tous ceux qui souhaitent se lancer dans le monde de la Tech.
Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ?
J'ai 34 ans. Je suis maman de 2 enfants de 6 et 8 ans. Je suis originaire du nord de la France par mon père, et de l'île de la Grande Comore par ma mère.
J'ai un fort ancrage Africain et océano-Indien car j'ai grandi au Tchad jusqu'à l'âge de 4 ans, à Madagascar jusqu'à mes 12 ans et au Cameroun jusqu'à mes 15 ans, avec des voyages très fréquents aux Comores sur cette période. J'ai ensuite fait mon lycée et mes études supérieures en France en région parisienne.
J'ai fait mes débuts chez Accenture en 2010, où j'ai travaillé sur l'uniformisation des Systèmes d'Information des ministères à Paris, puis assez vite intégré un projet Airbus de Carve-Out (création d'une nouvelle entreprise autonome à partir d'un département) à Toulouse.
Je suis restée dans le conseil pendant 7 ans et sur des projets Airbus de Transformation d'Entreprise, dans le Manufacturing Engineering, la Production, le Procurement, les Essais.
En 2018, j'ai intégré le groupe en interne en tant que IT M&A Project Leader dans le département qui était celui de ma première mission. Une jolie boucle était bouclée, et j'ai pu explorer d'autres facettes du métier, en ayant pour clients les CIOs de certaines filiales, notamment ATR.
Pour déménager à l'île Maurice, j'ai quitté l'entreprise et j'ai saisi l'occasion de cette période de transition pour me former au Coaching Professionnel basé sur la PNL (Programmation Neuro Linguistique), avec une spécialisation en Coaching d'équipes.
Je me suis lancée à mon compte ici début 2022 et j'ai testé le marché sur différentes activités avant que mon offre soit celle d'aujourd'hui.
À présent mes semaines sont faites à mi-temps environ de Gestion de Projets de Transformation, et sur l'autre part de Coaching d'équipes, avec les Start-up, les PME ou les Grandes Entreprises.
J'ai aussi une implication assez forte dans les milieux associatifs liés à l'entrepreneuriat.
Je suis membre de Komlink, une communauté de 80 entrepreneurs de la diaspora Comorienne qui a l'esprit, la dynamique, et la structure interne d'une Start-up.
Et je suis également Co-présidente depuis quelques mois de la French Tech Mauritius, en binôme avec Nicolas Goldstein.
Pourquoi avoir choisi l'île Maurice ?
Nous sommes arrivés avec ma famille en août 2021.
Nous cherchions à venir nous établir dans l'océan Indien depuis quelques années, pour vivre l'expérience de l'expatriation tout en rapprochant nos enfants de leurs grands-parents qui vivent aux Comores et à la Réunion, où mon mari est né et a grandi.
Maurice offre un cadre de vie magnifique dans un climat tropical que j'avais besoin de retrouver, mais aussi des infrastructures scolaires françaises de qualité pour les enfants, avec de l'anglais renforcé par rapport aux écoles en France, et un système de santé correct.
Le dernier facteur, et de poids, est celui d'un environnement économique très favorable, selon nous, pour se lancer dans l'entrepreneuriat.
En effet, en déménageant de Toulouse, nous avons mon mari et moi quitté nos emplois, vendu notre maison et quasi-tout ce qu'elle contenait, puis pris un billet simple pour l'océan Indien.
Il nous fallait viser, pour ce saut en parachute en tandem si je puis dire, un terrain d'atterrissage le plus sécurisé possible. Nous sommes satisfaits de notre choix pour Maurice !
Parlez-nous de votre activité professionnelle. Y a-t-il une demande importante pour ce type de services à l'île Maurice et dans la région Afrique / océan Indien ?
La mission de mon entreprise, IO Corporate Development, est centrée sur la performance collective, et se décline via 2 volets.
J'aide les grandes entreprises à structurer et mener à bien leurs projets de transformation dans les meilleures conditions.
Et sur un 2ème pan j'accompagne les équipes, start-ups, PME ou équipes du milieu corporate, à travers le coaching d'équipes.
Ici le but est de leur offrir un espace-temps précieux tout en bienveillance pour solidifier le socle de l'équipe et les faire travailler sur leurs modes de collaboration.
J'adore allier les outils de Coaching à des considérations très « terrain », très opérationnelles, des entreprises.
À moyen terme, je souhaite développer mon champ d'intervention vers une empreinte régionale, via des partenariats locaux sur les différentes îles, puis en Afrique du Sud-Est, et d'intervenir autant que possible sur des projets à impact positif pour le développement durable (socio-économique et environnemental).
Je dirais qu'en effet il y a de la demande sur les sujets liés à la performance collective.
Sur la partie projets de transformation, du fait du rythme de développement économique de l'île et de ses entreprises, mais aussi des enjeux de développement durable à intégrer de manière très concrète dans les stratégies de développement, la demande est également importante.
En coaching d'équipes, du fait de la difficulté à retenir les talents, la difficulté très largement éprouvée sur l'île. L'enjeu de fédérer les équipes peut passer par des événements Team Building fun, mais se complète très bien d'une ou 2 sessions de travail intense autour des sujets concrets, des forces, mais aussi des problèmes que l'équipe n'a que rarement l'occasion d'aborder.
Quant à la demande sur ces sujets dans la région et en Afrique, je la vois surtout présente chez les start-ups et les petites structures, pour qui il est d'autant plus précieux de poser des bases solides, tant dans la manière d'opérer leurs projets majeurs que dans la manière de construire des équipes fortes et équilibrées, coresponsables du développement de leurs entreprises, pleinement actrices et « empowered » dans le déploiement de leur stratégie de croissance.
Quel est votre constat de l'univers entrepreneurial à l'île Maurice et dans la région, compte tenu de votre expérience dans de grandes entreprises internationales ? En quoi diffère-t-il ?
Il est important de ne pas comparer des écosystèmes différents entre eux de manière générale, mais sur ce qu'ils apportent chacun aux personnes qui les composent et qui en bénéficient.
Par exemple, un point clé porte sur le fait que l'écosystème permette et encourage l'entrepreneuriat.
Sur ce point, d'une part le pays met en place différents dispositifs encourageant l'entrepreneuriat, tout en s'assurant, pour les entreprises étrangères, que l'offre arrive en complément, en enrichissement, de l'offre locale et non pas en concurrence.
Ensuite, le nombre et la qualité des dispositifs en place pour promouvoir l'entrepreneuriat innovant (incubateurs, événements, programmes d'accompagnement, concours) permettent, notamment à la jeunesse qui souhaite explorer cette voie, de le faire dans de bonnes conditions.
En revanche, la taille du marché est un élément très important à prendre en compte à Maurice. C'est un marché assez limité et avec des disparités fortes de pouvoir d'achat, même en BtoB. De ce fait, une entreprise qui vise une forte croissance devra dès le départ viser international dans sa cible de clients.
Parlez-nous de l'entrepreneuriat au féminin dans la région. Avez-vous constaté un engouement particulier ? L'écosystème entrepreneurial de la région est-il favorable aux entrepreneuses ?
Monter son entreprise lorsque l'on est une femme à Maurice n'est pas à ma connaissance plus compliqué que lorsque l'on est un homme.
Dans les faits, les entrepreneuses sont la plupart du temps autoentrepreneuses ou à la tête de petites entreprises, ce qui est déjà très bien, et suffit à créer des rôles modèles inspirants pour les jeunes filles, mais atteste quand même d'un contexte socioculturel où il reste du travail à faire sur le plan de la parité hommes/femmes.
Différents dispositifs visant à combler cet écart sont en place, ainsi que différents réseaux et événements dédiés aux entrepreneuses, aux femmes dans la Tech.
Nous sommes d'ailleurs, à la French Tech Mauritius, en cours de planification de partenariats avec certains de ces réseaux/événements, car inspirer les jeunes filles et les femmes à créer des projets Tech et innovants est un enjeu qui nous tient à cœur.
Quelles sont, selon vous, les qualités et les compétences indispensables pour réussir son projet entrepreneurial à l'île Maurice et dans la région Afrique / océan Indien ?
Lorsque l'on est expatrié, je pense que la première est l'humilité.
On arrive avec une expertise, certes, mais on a aussi dans le pays qui nous accueille des personnes qualifiées, expertes sur des sujets différents, avec qui il faut co-construire si l'on veut tirer le meilleur des projets et des entreprises.
L'ouverture d'esprit serait la deuxième. Les différences interculturelles sont ce qu'elles sont, et râler sur ces différences consomme une énergie qui peut être mieux investie.
La capacité à créer du lien est précieuse également, car les entreprises sont avant tout gérées par des hommes et des femmes, et que le réseau régional/international est plus resserré qu'on ne le pense a priori.
Qualité de travail et intégrité sont enfin des fondamentaux qu'il ne faut pas négliger lorsque l'on souhaite prospérer.
Dans cet écosystème assez serré, le bouche-à-oreille et les recommandations sont les canaux marketing les plus efficaces. Mais ces mêmes canaux véhiculent à la même vitesse les mauvaises expériences.
C'est important de proposer une vraie valeur et d'être prêt à tout moment à rencontrer votre client dans un rayon de votre supermarché !
Quelle est l'importance du coaching pour les start-ups débutantes et pour les plus grandes structures de manière générale ?
J'ai accompagné en Coaching individuel des startupers de différents domaines et à différents stades de création. Ce que j'ai pu observer c'est qu'ils expérimentent, outre la solitude de l'entrepreneur, et parfois le syndrome de l'imposteur, la sensation de travailler sans cesse, sur tous les fronts, et d'avoir comme perdu le fil conducteur en chemin.
Lorsque l'on fait face à ces sensations qui peuvent être bloquantes pour créer, livrer, penser, le coaching vient apaiser tout d'abord, poser les choses, remettre un ordre dans ses pensées, reprendre contact avec le pourquoi, la genèse, la vision.
Il permet à l'entrepreneur de reprendre confiance en lui et en son projet, de ré-adopter une perspective positive.
Lorsque la personne est reboostée, on peut définir, redéfinir, ou préciser l'objectif, et l'aider à construire un plan d'action qu'elle se sent parfaitement capable de porter en toute sécurité.
Pour les start-ups constituées de petites équipes, le travail va être plus axé sur la définition d'un socle qui respecte les valeurs de chacun, sur le fait de définir l'âme de la start-up, d'aligner les membres de l'équipe sur une vision, une direction commune avec laquelle chacun se sente confortable en fonction de ses « hard skills » et « soft skills ».
C'est un moment qui permet aussi de clarifier les rôles et responsabilités, de repérer les « trous », soit en termes de fonctionnement, soit en termes de compétences, soit même en termes de personnalité pour assurer une complémentarité dans l'équipe.
Enfin c'est un moment précieux où, hors de toute situation hautement émotionnelle, ils/elles vont pouvoir établir des principes de collaboration pour éviter autant que possible les conflits futurs, et faire face aux challenges extérieurs.
Tous ces éléments leur permettent de « partir au front »en sachant que la route ne sera pas forcément simple, mais qu'en équipe, ils ont mis toutes les chances de leur côté pour maintenir le cap qu'ils ont défini !
Quels sont votre rôle et vos objectifs en tant que nouvelle coprésidente de la French Tech Mauritius ?
Avec Nicolas Goldstein et l'ensemble des membres du Board, nous avons défini une feuille de route dont l'objectif est d'amplifier le dynamisme de la French Tech à Maurice et de tisser plus de liens régionaux et internationaux.
En tant que co-présidente, je participe à l'impulsion, à la structuration et au suivi de ces activités dans le temps, en veillant à ce que nos actions soient toujours en accord avec la mission French Tech globale, et aient le plus d'impact positif possible.
De manière plus personnelle, je porterai l'axe de partenariat avec les réseaux féminins à Maurice, ainsi que l'établissement de connexion transverses French Tech Africaines sur les sujets Tech4Good.
Des conseils pour les personnes qui souhaiteraient développer une activité entrepreneuriale à l'île Maurice ou dans la région Afrique / océan Indien ?
N'hésitez pas, l'océan Indien et l'Afrique sont de vraies terres d'opportunités. Et entourez-vous d'experts et d'un ou plusieurs réseaux de pairs.
À Maurice, la CCI France-Maurice est un bon point d'entrée pour les entreprises ayant un lien avec la France. Et la French Tech Mauritius en est un autre bien, entendu pour celles en rapport avec l'innovation et la Tech.