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S'expatrier pour travailler aux États-Unis, un rêve de plus en plus difficile à réaliser ? Les candidats à l'expatriation font part des nombreux obstacles qui se dressent sur leur chemin. Les entreprises confirment. Pour garder leurs talents étrangers, certaines d'entre elles optent pour une autre solution : délocaliser, non pas leurs bureaux, mais leurs talents internationaux à l'étranger. Quelles implications pour premiers concernés ?
Travailler aux États-Unis : l'épineuse question des quotas
Vaste chantier. Le 5 janvier 2023, c'est un président combatif qui reconnaît que le système d'immigration aux États-Unis est « cassé ». Mais Joe Biden est certain de pouvoir allier humanité et fermeté, urgence économique et respect des droits humains. C'est tout le « rêve américain » qu'il veut reconstruire. Un rêve difficile à concrétiser pour nombre de candidats à l'expatriation. Beaucoup abandonnent devant la complexité du système de visas. Le fameux H-1B, visa de travail pour les travailleurs hautement qualifiés, prend d'inquiétantes allures de mirage, tantôt inaccessible, tantôt non renouvelable.
Aux États-Unis, le système de quotas basé sur l'emploi (système IV) est restrictif, complexe, avec des places prioritaires et des files d'attentes classées par catégories de visa immigrant et par pays. On distingue actuellement 140 000 visas IV disponibles dans 5 grandes catégories. Ce système de quotas, dont le plafond a été établi depuis les années 90, peine à tenir aujourd'hui. En vertu de ce quota, un pays ne peut recevoir chaque année plus de 7 % du nombre total de visas IV disponibles. Les pays comme l'Inde sont fortement pénalisés, avec des listes d'attente qui s'allongent sur des années, des entreprises qui désespèrent de recruter leurs talents étrangers, et des expatriés qui délaissent les États-Unis pour d'autres pays.
À ces restrictions s'ajoutent celles entourant le visa H-1B, visa de travail de référence, utilisé par de nombreuses entreprises, et le visa H-2B (pour les travailleurs temporaires des professions non agricoles). Depuis les années 90, les plafonds du visa H-1B sont limités. La loterie 2024 prévoit 85 000 visas disponibles. Une limite jugée trop basse et trop éloignée de la réalité du marché selon nombre d'employeurs. En 2022, le plafond avait déjà été dépassé. Restrictions obligent, 80 % des nouvelles candidatures au visa H-1B auraient été rejetées.
Délocaliser pour garder ses talents étrangers
La solution pour continuer de retenir les talents étrangers et rester attractives, de plus en plus d'entreprises américaines croient l'avoir trouvée. Elles délocalisent, non pas leur siège social à l'étranger, mais leur main-d'œuvre internationale. Ainsi, un expatrié sous contrat avec une entreprise américaine peut exercer son activité professionnelle, non pas aux États-Unis, mais au Canada, au Mexique ou en Allemagne. Les pays frontaliers des États-Unis sont les premières bases de repli des entreprises américaines, avec une nette préférence pour le Canada.
Selon une récente étude relative aux tendances de l'immigration en 2023 menée par Envoy Global Inc., établissement des services d'immigration, 93 % des employeurs américains envisagent de délocaliser leurs travailleurs étrangers. Les entreprises ayant déjà recours à cette solution privilégient le Canada (62%). 48 % privilégient le Mexique et le Royaume-Uni. 31 % préfèrent l'Allemagne.
La solution ne résout cependant pas le véritable problème. Les entreprises y ayant recours ou songeant à le faire sont les premières à déplorer le manque de visas de travail, et la difficulté d'en obtenir un. Selon l'étude, plus de 8 employeurs sur 10 disent avoir perdu un salarié étranger en 2022, faute d'avoir pu lui obtenir un visa H-1B, ou un autre visa de travail. Bien qu'imparfaite, la délocalisation de ces salariés à l'étranger est, pour l'instant, la meilleure réponse que les entreprises ont trouvée pour garder leurs talents internationaux.
Et la solution n'est pas réservée aux grandes entreprises. On pourrait penser que seules les entreprises disposant de branches dans d'autres pays auraient recours à la délocalisation. Les multinationales y avaient effectivement déjà recours pour conserver leurs talents internationaux, sans que la pratique fasse la une des journaux. Mais les PME américaines s'y mettent aussi, qu'elles aient un marché international ou non.
Vers une hausse des coûts des visas de travail ?
Toutes ces entreprises saluent le succès du télétravail, en pleine expansion depuis la crise sanitaire. La marche forcée vers le travail hybride, pensée au début pour des raisons purement pratiques, est rapidement devenue une nouvelle forme d'organisation du travail. La délocalisation des talents étrangers profite de cet engouement pour gagner des points auprès des entreprises américaines. Si l'on parle aujourd'hui du phénomène, c'est en partie grâce à son expansion. La délocalisation est souple à mettre en place ; des entreprises en ont même fait leur spécialité.
Et la tendance risque de confirmer. Le coût de certains visas de travail, dont le H-1B, est bien parti pour augmenter, d'environ 460 à 1580 dollars. Selon les services de la citoyenneté et de l'immigration, il ne s'agirait que d'un simple rééquilibrage. Les services rappellent que ces frais n'ont pas augmenté depuis 2016, alors que le monde, lui, a considérablement changé. Les crises à répétition de ces dernières années ont plombé son budget, qui dépend majoritairement des frais des visas. Pour l'immigration, les dysfonctionnements et lenteurs accumulés ces dernières années sont directement liés aux problèmes budgétaires, d'où la nécessité d'augmenter les coûts de certains visas.
Il y a cependant « hausse » et « hausse », soufflent les employeurs. Multiplier par 3 le coût du visa H-1B, reviendrait à empêcher de nombreuses entreprises de fonctionner, notamment celles employant de nombreux talents internationaux. Pour les employeurs concernés, le système serait avant tout contre-productif, puisqu'il nuirait à la croissance du pays. La délocalisation, elle, risque fort de se poursuivre.
Quelles implications pour les travailleurs internationaux ?
Qu'en pensent les travailleurs étrangers ? Pour les candidats malheureux qui n'ont pas réussi à obtenir un visa H-1B malgré de nombreuses tentatives, la délocalisation est une bonne solution de repli. Des talents étrangers délocalisés au Canada témoignent. Ils pensaient au rêve américain. Ils vivent le rêve canadien, tout en travaillant pour une entreprise américaine. Pour eux, le rêve est toujours là. Ils s'estiment même gagnants au change. Le Canada jouit d'un excellent cadre de vie. Certains se disent même assez séduits pour immigrer définitivement au Canada.
D'autres se demandent tout de même quand les États-Unis réviseront leurs quotas. Le télétravail international n'est pas une solution pérenne. Ces expatriés rappellent que s'ils ont postulé pour une entreprise basée aux États-Unis, c'est bien pour une raison. Ils refusent d'être assimilés à une simple marchandise exportable au gré des tendances du marché. Pour eux, les États-Unis, si friands de leurs compétences, devraient être tout aussi disposés à les accueillir sur leur territoire.
Les États-Unis disent avoir compris. Du moins, ils ont annoncé en février dernier démarrer un vaste programme pour faciliter le renouvellement des visas de travail. À l'origine, les détenteurs de visas de travail temporaire devaient quitter le pays pour déposer une nouvelle demande. Décriée depuis de nombreuses années en raison de son coup et de sa lourdeur, la mesure a définitivement montré ses limites lors de la crise sanitaire. Désormais, il ne sera plus nécessaire de quitter les États-Unis. Le projet est pour l'instant un pilote. Il sera d'abord réservé aux détenteurs de visas H ou L. Reste la question initiale des quotas des visas de travail. Là aussi, la crise sanitaire a révélé à quel point les États-Unis dépendaient de la main-d'œuvre étrangère.