Faire carrière à l'étranger à 60 ans : est-ce possible ?

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Publié le 2023-04-26 à 07:00 par Asaël Häzaq
Alors que la France vient de faire passer l'âge légal de la retraite de 62 à 64 ans, la Corée du Sud propose d'augmenter le temps de travail jusqu'à 69 heures par semaine. Les deux mesures suscitent l'indignation des premiers intéressés, malgré des promesses d'avantages selon les profils. Derrière la colère, un questionnement légitime. Est-il possible de faire carrière à l'âge où l'on s'apprête à partir en retraite ? La pénurie de main-d'œuvre à l'international rend-elle le défi plus simple à relever ? Est-il possible de faire carrière à l'étranger à 60 ans ?

Senior et expatrié : la nouvelle formule de la croissance ?

On pourrait dire que la vie est affaire d'optimisme et que la volonté suffit à ouvrir toutes les portes. Rien n'empêcherait donc un senior d'aller travailler à l'étranger. De nombreux États recherchent des travailleurs. Tous les secteurs sont concernés, avec des manques particulièrement criants dans certains secteurs comme la santé, la construction ou les transports. L'étranger de 60 ans et plus transporte avec lui l'inépuisable bagage de la maturité. S'il n'a pas forcément les diplômes requis (d'autant plus qu'ils peuvent évoluer), il a l'expérience et le savoir-être. Toutes ces choses, qui ne s'apprennent qu'à force de pratique, font de lui une perle rare sur le marché du travail international.

Mais encore faut-il que l'expatrié senior puisse accéder à ce marché. Nombre de pays ne délivrent plus de visas de travail passé 60 ans. Si le Canada, l'Australie, le Japon, l'Allemagne, la Suisse, la Nouvelle-Zélande ou les États-Unis sont en manque de main-d'œuvre, ils cherchent avant tout une main-d'œuvre jeune et active. Les 60 ans et plus sont peut-être toujours aussi actifs qu'à leurs 30 ans, mais ils n'ont plus la jeunesse. Il ne faut pas ici entendre le mot comme une espèce d'idéal devant lequel tous s'inclineraient. Les États veulent des jeunes actifs, car ils misent sur l'avenir. Tous sont confrontés à une baisse démographique plus ou moins importante. Or, sans humains, pas de croissance. Prioriser l'immigration des jeunes actifs, c'est espérer redresser la courbe démographique.

Le défi démographique est loin d'être le seul critère justifiant l'attrait pour les jeunes actifs expatriés. Il ne justifie pas non plus le rejet d'éventuelles candidatures de seniors. Bien au contraire, certaines entreprises misent justement sur les 60 ans et plus pour booster leur croissance. Les États l'ont bien compris, et aménagent des politiques spéciales pour recruter les seniors qualifiés.

Où peut-on faire carrière à 60 ans ?

Quel est le point commun entre Kiran Mazumdar-Shaw (fondatrice de l'entreprise de biotechnologie Biocon), Bernard Arnault (PDG du groupe de luxe LVMH), Oprah Winfrey (animatrice, productrice pour la télévision et le cinéma, éditrice, critique littéraire, actrice), Cher Wang (cofondatrice et présidente de High Tech Computer Corporation), et Robert Frederick Smith (fondateur et président de Vista Equity Partners, entreprise en capital-investissement) ? Ils ont tous 60 ans ou plus, et sont en activité. Des activités prospères, qui les font entrer dans le cercle fermé des millionnaires (et même des milliardaires). Pour ces riches femmes et hommes d'affaires, travailler après 60 ans n'est pas un problème. Ils incarnent une nouvelle vision du monde du travail, qui semble mettre davantage l'accent sur les compétences techniques et le savoir-être.

Forts de ce constat, des pays ont investi dans l'emploi des seniors. Un investissement qui sonne également comme une nécessité. Le vieillissement de la population touche de plus en plus d'économies. L'allongement de la durée de vie (et de vie en bonne santé, pour certaines catégories socioprofessionnelles) incite ces États à favoriser l'emploi des seniors. Ils ne sont pas un poids, mais bien une richesse, qui se mesure en points de croissance.

Oman : expatriés seniors, booster de croissance

C'est fort de ce constat qu'Oman a supprimé la limite d'âge pour l'emploi des plus de 60 ans. Depuis janvier 2022 donc, les étrangers de plus de 60 ans peuvent poursuivre leur activité professionnelle. Le Sultanat répond à une demande des entreprises, inquiètes de voir partir leurs talents étrangers. Pour les entreprises comme pour le pouvoir l'expertise des seniors étrangers est cruciale pour la croissance économique du territoire.

Émirats arabes unis : les qualifications avant tout

Aux Émirats arabes unis, l'âge (EAU) légal de la retraite est fixé à 60 ans. Mais si son employeur lui obtient le permis nécessaire, et si l'expatrié reçoit l'approbation des Ressources humaines et de l'Émiratisation (MOHRE), il pourra continuer de travailler jusqu'à 65 ans. Le décret fédéral n° 33 de 2021 reste néanmoins vague sur l'âge de la retraite des expatriés aux EAU. Ainsi, les étrangers dirigeants d'entreprises continuent de travailler après leurs 60 ans, de même que nombre de salariés. Une clause ministérielle plus ancienne (1989) fixait déjà des exceptions pour les étrangers qualifiés et très qualifiés qui souhaitent rester en activité. Dans tous les cas, et pour asseoir leur image de destination business, les EAU accordent une plus grande importance aux qualifications de l'expatrié.

Belgique : des aides pour inciter à l'embauche des seniors

Depuis 2012, les entreprises belges appliquent le Plan pour l'emploi des travailleurs âgés. Le Plan s'inscrit dans la Stratégie Europe 2020, qui visait à l'époque « un taux de participation des travailleurs âgés de 55 à 65 ans de 50 % ». Selon le Plan, toute entreprise de 20 salariés ou plus doit prendre des mesures pour augmenter son nombre de travailleurs âgés de 45 ans et plus. En plus de ce cadre, plusieurs régions belges ont mis en place des aides à l'embauche d'un senior. La Flandre prévoit ainsi 600 euros de réduction trimestrielle de cotisations patronales pour l'embauche d'un salarié de 59 ou 60 ans. La réduction grimpe à 1500 euros pour les 61 ans et plus. La Wallonie propose entre 400 et 1500 euros de réduction pour l'emploi d'une personne d'au moins 55 ans. Bruxelles prévoit 1000 euros de baisse pour l'embauche d'un salarié d'au moins 57 ans.

Les autres pays qui misent sur les 60 ans et plus

États-Unis, France, Australie, Japon, Suisse, Canada, Mexique, Allemagne… Beaucoup d'autres États ont pris des mesures pour favoriser l'emploi des seniors. Mais tous les secteurs ne sont pas concernés, et la question du visa refait surface. Les entreprises qui recrutent des expatriés de 60 ans et plus recherchent les compétences et l'expertise dans des domaines précis. C'est d'ailleurs l'autre point commun des riches femmes et hommes d'affaires cités plus haut. Tous travaillent dans l'informatique, les cosmétiques, la finance, le luxe, la santé. Les seniors expatriés bienvenus à Oman ou aux Émirats arabes unis sont aussi des experts dans leur domaine. Des domaines de pointe qui exigent de solides qualifications. Ces États imposent d'ailleurs des conditions de revenus pour s'assurer de ne retenir que les riches expatriés.

Carrière senior à l'étranger : oui, mais pas pour tout le monde

On ne travaille pas toujours à plus de 60 ans pour le plaisir. Si faire carrière à l'étranger reste possible pour les catégories socioprofessionnelles les plus élevées, le reste des seniors bataille avec des pensions trop faibles pour assurer une bonne retraite. Selon le rapport de l'OCDE publié en 2022, 52 % des Sud-Coréens de 66 ans et plus vivent sous le seuil de pauvreté. 66 % des retraités coréens continuent de travailler (à 60, 70, voire 80 ans et plus) pour combler leur petite retraite. De petits boulots allant du ramassage des ordures à la livraison de colis. Pour les économistes, le système d'emploi sud-coréen est l'une des causes de cette situation.

Le gouffre parfois important entre la loi et la pratique des entreprises. Alors que le projet de réforme de la retraite secoue la France, Eurostat publie les chiffres du taux d'emploi des seniors (55-64 ans). Il était de 55,9 % en France, en 2021. Un chiffre faible, par rapport au Danemark (72,3%) ou à la Suède (76,9%). En France, les stéréotypes contre l'emploi des seniors y compris des cadres et personnels qualifiés restent forts. En 2022, être senior constitue la deuxième cause de discrimination ressentie au travail, après l'origine sociale. Pour les plus de 55 ans, l'âge serait même la première cause de refus de leur candidature.

Et pourtant, des secteurs recrutent en France comme à l'étranger. Les postes sont souvent à responsabilité pour encadrer les jeunes et faire profiter l'entreprise de ses connaissances. Dans la grande distribution, certaines enseignes recrutent des seniors vendeurs qui, selon elles, rassurent les clients. Le numérique, le commerce, la santé, le conseil ou la comptabilité sont d'autres secteurs qui recrutent des seniors qualifiés.