Plus d'un travailleur sur 5 a déjà été victime de violence ou de harcèlement physique, psychologique ou sexuel au travail. C'est ce que révèle la première étude mondiale menée conjointement par la Lloyd's Register Foundation (LRF), l'Organisation internationale du travail (OIT) et Gallup. Des chiffres qui témoignent d'un phénomène qui persiste, et qui touche particulièrement les salariés (par opposition aux indépendants), les jeunes, les femmes et les étrangers.
Violence et harcèlement au travail : l'enquête mondiale
Dernier phénomène en date, le « quiet firing » (licenciements silencieux) provoque l'inquiétude chez les salariés et les experts du monde du travail. Si la pratique est ancienne (mise au placard), elle prend une nouvelle l'ampleur. On y voit une réponse au « quiet quitting » (démissions silencieuses), notamment vues aux États-Unis. Soucieuses d'être toujours plus productives, des entreprises feraient tout pour pousser à la démission ceux qu'elles jugent les moins productifs. Des pratiques à la limite de la légalité, qui peuvent basculer dans le harcèlement.
En 2021, la LRF (organisation caritative mondiale indépendante) réalise un sondage mondial sur les risques (World Risk Poll). 125 000 personnes réparties dans 121 pays et territoires ont été interrogées. C'est dans ce cadre que sort l'étude menée conjointement par LRF l'OIT, et Gallup (agence spécialisée dans l'analyse et le conseil pour les dirigeants et les organisations).
Une violence endémique
Les chiffres sont révélateurs. Un travailleur sur cinq dit avoir été victime de violence et de harcèlement au travail. Pour plus de la moitié des victimes (58,5%), la violence et le harcèlement se sont reproduits. La violence psychologique est plus répandue (16,5%), comparativement à la violence physique (7,4%) et sexuelle (5,5%). La violence psychologique est justement celle qu'on a le plus de mal à prouver. Insidieuse, elle ne laisse pas toujours de traces. Une absence de preuves matérielles dont se servent certains employeurs pour maintenir leur emprise sur leurs victimes. Ceci est d'autant plus vrai pour les employés étrangers, potentiellement plus vulnérables que les autres. Les expatriés ne sont pas toujours au fait de leurs droits. Ils ne parlent pas toujours la langue du pays d'accueil, et même s'ils la parlent, ils sont loin de maîtriser le jargon juridique. Face à la violence et au harcèlement au travail, ils ne dénoncent pas toujours leur employeur ou leurs supérieurs, de peur d'être mal vu ou de perdre leur emploi. Les hommes qui révèlent avoir été victimes de harcèlement ou de violence au travail sont légèrement plus nombreux que les femmes (21,9 % contre 19,8%). Ces dernières sont cependant surexposées au harcèlement sexuel (32,9% contre 15,4 % pour les hommes).
Des disparités selon les régions du monde
Les répondants à l'enquête travaillant en Australie et en Nouvelle-Zélande ont été les plus nombreux à révéler avoir été victime de violence et de harcèlement (52 % de femmes, 44 % d'hommes). Les répondants vivant en Amérique du Nord arrivent en deuxième position (48 % de femmes, 35 % d'hommes). Viennent ensuite les répondants vivant en Afrique de l'Est (30 % de femmes, 22 % d'hommes). Une analyse par pays dévoile que l'Australie, la Finlande, l'Islande, la Nouvelle-Zélande, le Danemark, les États-Unis, la Norvège, le Canada, la Grèce et la Suède enregistrent le plus de témoignages de cas de violence et de harcèlement (entre 49,1 % et 36,9 % - l'Australie a le pourcentage le plus élevé, la Suède, le plus bas). Le Kyrgyzstan, le Liban, la Malaisie, l'Ouzbékistan, l'Arménie, l'Indonésie, la Géorgie, le Kazakhstan, le Pakistan et le Tajikistan enregistrent les plus faibles niveaux de signalements (entre 7,4 % et 3%).
Les chiffres enregistrés dans des États comme la Finlande, que l'on connaît plutôt pour sa bonne qualité de vie, peuvent s'expliquer par la législation très stricte à l'encontre de la violence et du harcèlement au travail. Davantage de cas et situations relèveraient donc de la violence et du harcèlement, ce qui ferait augmenter les niveaux de signalements. De même, les faibles pourcentages du Liban, de la Malaisie ou du Pakistan pourraient s'expliquer par une tolérance vis-à-vis de la violence et du harcèlement.
Les travailleurs nés à l'étranger davantage victimes de violence et de harcèlement au travail
Comme tous les autres individus, les expatriés sont également exposés à la violence et au harcèlement au travail. De par leur statut d'étrangers, ils sont potentiellement plus exposés que d'autres groupes. 44 % des répondants à l'enquête disent avoir subi la violence et le harcèlement en plus de la discrimination subie à cause de leur couleur de peau. Pour 42 % des interviewés, la violence s'est ajoutée à la discrimination relative à la nationalité/au groupe ethnique. Ce sont les deux taux les plus importants, après la discrimination liée au genre (46%).
Les personnes nées à l'étranger sont plus souvent confrontées à la violence et au harcèlement au travail. C'est encore plus vrai pour les femmes nées à l'étranger. Elles sont 30 % à révéler avoir subi de la violence et du harcèlement au travail, contre 21 % des femmes nées dans le pays. Mais les hommes nés à l'étranger sont tout aussi concernés. Ils sont 26 % d'hommes nés l'étranger à témoigner avoir été victimes de violence et de discrimination. Les hommes nés dans le pays concerné sont à peine moins nombreux (23%). À noter que l'étude n'a pas directement demandé au répondant d'indiquer leur statut de migrant. Par « personne née à l'étranger », elle entend aussi bien les immigrants de court ou long terme que les personnes ayant obtenu la nationalité du pays d'accueil.
Surreprésentation des femmes nées à l'étranger
La surreprésentation des femmes nées à l'étranger ayant subi de la violence et du harcèlement au travail peut s'expliquer par leur statut. Comme le révèle l'étude, les femmes sont davantage exposées aux violences. Les diverses affaires de cas de harcèlement au travail rappellent que la protection des droits des femmes est un combat quotidien. La sphère professionnelle reste une sphère entachée par des rapports de domination nuisibles aux femmes. Les femmes nées à l'étranger subissent, non seulement la discrimination liée à leur genre, mais aussi celle liée à leur groupe ethnique, leur nationalité, leur couleur de peau. La Covid-19 a fait ressurgir de nombreuses pratiques discriminatoires à l'encontre des populations asiatiques. Les projets de loi des États en faveur d'un assouplissement de la politique d'immigration provoquent la colère d'une partie des habitants (comme en France, en Finlande ou en Suède).
Expatriés victimes de violence et de harcèlement au travail : la difficulté de parler
Les travailleurs étrangers sont moins susceptibles de divulguer avoir été victimes de violence. Ceux qui se taisent disent ne pas avoir su quoi faire/à qui parler. Ils ne connaissent pas les lois en vigueur dans le pays ni les organismes à contacter en cas de problème. Tous les pays ne disposent pas d'informations et de services dédiés. Certains sont plus avancés que d'autres en matière de protection des droits des étrangers. La culture du pays entre aussi en cause. C'est d'autant plus vrai pour les femmes expatriées, dont le poste à responsabilité peut être mal vu dans un pays à la culture réputée sexiste.
À cela s'ajoute la peur de parler. Car parler, c'est se mettre dans un danger encore plus grand. Certains employeurs jouent sur la peur des travailleurs étrangers pour maintenir la pression : menaces concernant le permis de travail (qui ne serait plus renouvelé, qui serait confisqué), menaces relatives au travail en lui-même (blocage d'une demande de promotion, discrétisation auprès de la hiérarchie, des collègues…). Des pratiques qui diffèrent selon l'entreprise, selon le milieu socioprofessionnel (faibles salaires, salaires moyens, hauts salaires). Des pratiques bien entendues illégales, mais qui ont toujours cours aujourd'hui.
L'étude rappelle que ses résultats diffèrent d'une région du monde à l'autre, et que de grandes disparités peuvent apparaître entre les pays. Les résultats obtenus mettent cependant en évidence une violence et un harcèlement bien présents sur le lieu de travail, et à des niveaux inquiétants. Pour l'OIT, LRF et Gallup, l'urgence appelle à l'action. Car ces violences impactent, non seulement l'humain, mais aussi l'économie. Les organismes pressent tous les États de ratifier la Convention n°190 de l'OIT, concernant la violence et le harcèlement dans le monde du travail.