Fred Swaniker est l'homme derrière l'African Leadership Academy à Johannesburg et l'ALU à l'île Maurice et au Rwanda. Il partage, avec Expat.com, sa vision du lien entre l'expatriation et l'entrepreneuriat, mais également des futurs leaders africains et de la place centrale qu'occupe l'Université dans le développement du continent.
Vous vous êtes déjà expatrié dans de nombreux pays africains. Qu'avez-vous appris de ces diverses expériences ?
Je ne compte en effet plus le nombre d'années de vie à l'étranger. Cela a clairement joué un rôle dans la conception que je me fais de la diversité. Je tire également de ces expériences une inébranlable passion pour l'Afrique dans son ensemble. J'ai pu voir combien les africains étaient semblables, et ai pu mesurer les défis locaux que nous avions à relever, ensemble. Je porte enfin en moi toute la richesse des cultures de l'Afrique, que j'ai pu découvrir au travers de mes expériences. Ma manière de penser, mes opinions, mes réflexions sont aujourd'hui la résultante de ces années passées à l'étranger.
Je vois également l'expatriation comme une fantastique préparation culturelle. Si j'ai pu étudier aux États-Unis, si je peux travailler et me déplacer à n'importe quel endroit, tout en m'y sentant à l'aise, c'est notamment grâce à mon parcours d'expatrié.
Aujourd'hui, je vis à l'île Maurice. Je m'y suis installé en juillet 2015, afin de créer le principal campus de l'African Leadership College (ALC). C'est un bel endroit pour y vivre et un bon spot pour continuer de voyager dans le monde.
Environ 20% de nos membres sont indépendants ou entrepreneurs. Vivre à l'étranger développe-t-il la fibre entrepreneuriale ?
Absolument ! La plupart de mes idées, en tant qu'entrepreneur, proviennent de mes expériences à l'étranger. Les rencontres, les frustrations ou manques ressentis dans telle ou telle ville, la fusion de plusieurs idées, elle-mêmes conçues dans des pays différents, sont des sources d'inspiration inestimables. Il me parait donc tout à fait naturel que les expatriés soient attirés par l'entrepreneuriat.
Parlez-nous de votre dernier projet. Qu'est-ce que l'African Leadership University ?
Cette idée provient des nombreuses rencontres que j'ai pu faire sur le continent, ainsi que du profond respect pour l'éducation que mes parents m'ont transmis. Par éducation, j'entends non seulement l'acquisition du savoir, mais aussi le partage des connaissances.
Ma mère, Edna Wilhelmina Swaniker, a enseigné durant 29 ans. Elle a notamment fondé une école au Botswana. Je n'ai finalement fait que suivre ses pas en cofondant, des années plus tard, l'African Leadership Academy à Johannesbourg, en Afrique du Sud. Nous y proposons un programme académique unique et révolutionnaire. Nous y encourageons les étudiants à adopter une vision entrepreneuriale, voire à s'engager dans l'entrepreneuriat. Nous y dispensons des cours en Leadership, ainsi qu'en études africaines. Ils prennent alors conscience que l'avenir du continent n'est pas entre les mains des leaders d'hier, mais des leurs. Pour cela, ils n'ont besoin que de conseils et d'appuis adaptés à leur projet.
Par la suite m'est venue l'idée d'étendre notre institution à l'étranger, sous l'appellation African Leadership University. Cette vision transfrontalière me semble pertinente au regard des défis de notre temps.
A l'occasion du TEDGlobal 2014, vous avez affirmé que la 4e génération de leaders africains stimulerait la richesse et la prospérité sur tout le continent. Comment, à travers votre institution, préparez-vous cette génération aux défis qui les attendent ?
Pour nous, le leadership ne s'exerce pas seulement dans les plus hautes sphères politiques. Nous retrouvons des leaders dans l'ensemble des écosystèmes économiques, industriels, scientifiques, culturels, artistiques...Les vrais leaders sont reconnaissables à l'héritage qu'ils transmettent aux générations futures.
Au sein de notre institution, nous ne préparons pas les étudiants à se battre contre tous les obstacles qui se dresseront inévitablement devant eux au cours de leur vie. Nous leur apprenons surtout à contourner ces obstacles pour parvenir à leur fin. Nous les armons d'un réseau d'appui, construisons, avec et pour eux, une communauté de personnes vers qui ils pourront se tourner en cas de besoin. Nous nous assurons qu'ils trouveront, à chaque tournant, dans chaque chemin, des gens aussi passionnés qu'eux et partageant les mêmes intérêts. Nous enseignons également les valeurs indispensables à tout bon leader, à savoir le courage, la recherche constante de l'excellence, et la responsabilité. Ces valeurs sont bien plus que des mots. C'est une philosophie, une référence morale pour toutes les personnes qu'ils auront sous leur responsabilité. Le bien-être, l'entraide, l'exercice du leadership par l'esprit, l'âme et le corps sont autant d'éléments constitutifs de notre programme académique. Les étudiants peuvent discuter avec des conseillers à n'importe quel moment, et peuvent participer à des programmes de conditionnement physique, durant lesquels ils adoptent des habitudes de vie saines.
Nous sommes convaincus que ce programme prépare les nouvelles générations aux défis de demain.
Que pensez-vous de l'écosystème entrepreneurial en Afrique ? Dans quels pays trouve-t-on les hubs les plus innovants ? Quels pays sont les plus attractifs pour les entrepreneurs ?
L'on s'aperçoit que les pays les plus attractifs auprès des entrepreneurs sont ceux qui placent le développement humain au cœur de leur politique. Les gouvernements qui investissent dans leur population plutôt que dans les industries extractives, par exemple, s'en sortent toujours mieux. Ces pays ont en effet compris que le moteur de la transformation économique se trouve chez les gens.
En tant qu'entrepreneur, je m'intéresse particulièrement à l'environnement politique, à l'État de droit et aux structures judiciaires d'un pays. Ces trois éléments fonctionnent en tandem et forment les piliers d'un écosystème entrepreneurial dynamique.
Un tel environnement encourage l'innovation, favorise la croissance des entreprises et contribue à l'amélioration continue de cet écosystème, en termes opérationnels et réglementaires.
Si nous avons développé l'African Leadership College à Maurice et au Rwanda, c'est que les politiques menées par ces deux pays sont propices au développement de hubs régionaux dans les domaines scientifiques et éducatifs. Vous remarquerez également que ces pays sont favorables aux investisseurs et aux entrepreneurs.
Citez-nous 5 entreprises africaines qui ont pris leur envol en 2016. Dans quels domaines les entrepreneurs africains sont-ils passés maîtres ?
De nombreuses start-ups africaines ont percé l'année dernière. On y retrouve notamment :
Fuzu : basée à Nairobi, cette plate forme, forte de plus de 800 000 membres, permet de rechercher de nouvelles opportunités de carrière dans la région tout en développant de nouvelles compétences.
Flare, une société kenyanne, met directement en relation des usagers et des ambulances, simplifiant ainsi un processus aujourd'hui très long.
Dr CADx, une start-up zimbabwéenne, met à disposition des docteurs un système d'imagerie à bas coût pour faciliter les diagnostics.
WeFarm, une start-up est-africaine soutenue par des investisseurs, permet aux fermiers de recevoir par SMS, des informations vitales pour les activités agricoles, s'inspirant ainsi de l'efficacité de Mpesa.
SafeMotos est une application Rwandaise de mise en relation entre des clients et des conducteurs de motos.
Je suis persuadé que les startups qui fonctionneront le mieux sont celles qui répondront à l'un des sept grands défis du continent : la gouvernance, la santé, le changement climatique, l'infrastructure, l'urbanisation, l'éducation et le chômage. Les entreprises qui savent saisir les opportunités existant en Afrique connaîtront le succès. Ces opportunités, nous pouvons les retrouver dans des secteurs aussi variés que l'émancipation des femmes, l'agriculture et l'intégration régionale.
Quelle est votre vision de l'avenir éducatif en Afrique ?
Le système académique africain doit s'aligner autour d'objectifs clairs et cruciaux. Les formations proposées doivent permettre de trouver des solutions aux défis posés par nos sociétés.
Une bonne formation donne du sens à une existence, forge le caractère des étudiants et permet d'acquérir les compétences et la connaissance nécessaires à leur intégration dans le monde professionnel.
La raison pour laquelle les universités africaines ne sont pas dans le haut des classements internationaux est liée aux grilles de calcul : la recherche académique, les dotations, les salaires moyens à la sortie de l'école, les structures disponibles à l'université...Selon moi, ces éléments ne permettent pas de distinguer une bonne d'une mauvaise université. Si l'institution, les étudiants et le programme éducatif sont de bonne qualité, il est tout à fait possible de produire de grandes choses. Et je sais que les universités africaines sont capables, aujourd'hui, de conduire les jeunes générations à relever les défis de notre temps.
© Toutes les photos utilisées dans cet article ont été prises par l'ALU/Keshawve Jeewon.