Les expatriés sont-ils de retour en Chine ?
S'ils sont de retour, ils semblent moins nombreux qu'auparavant. Les autorités chinoises parlent même de déclin. La situation inquiète jusque dans les instances gouvernementales. Le 9 mai, le Bureau municipal des affaires étrangères de Tianjin, l'Association de Tianjin pour les relations amicales internationales, l'Institut chinois d'études internationales, la Fondation chinoise pour la paix et le développement, l'Institut d'études sur la Chine contemporaine et le monde, et la Galerie d'art Shuyong de Pékin organisent un séminaire sur « la pensée diplomatique de Xi Jinping et la « communauté internationale qui nous entoure » ».
C'est au cours de ce séminaire que Wang Wen, Doyen exécutif de l'Institut d'études financières de Chongyang à l'Université Renmin de Chine, tire la sonnette d'alarme. Pour lui, la Chine est confrontée à une « forte baisse » du nombre d'expatriés. Il appelle le président chinois à davantage « d'ouverture sur le monde extérieur ». Dans son discours, Wang rappelle le rôle essentiel des étrangers dans les relations internationales ; loin d'être isolée, la Chine se doit de multiplier les échanges avec les autres États. Wang estime que les infrastructures chinoises actuelles sont insuffisantes et que le pays se doit de développer ses pôles de compétence, notamment dans la finance, et le management, pour attirer les talents étrangers. Selon le Doyen, il existe une disparité trop forte entre la place de la Chine dans l'économie mondiale et le nombre de talents étrangers. Les étrangers représenteraient environ 0,05 % de la population, un niveau bien trop faible pour une 2e puissance mondiale. Au Japon, 4e puissance mondiale, environ 2 % de la population est étrangère.
Un exode des expatriés toujours d'actualité
Si la baisse du nombre d'étrangers en Chine n'est pas nouvelle (on la constate depuis environ 10 ans), elle est mise en lumière depuis la crise sanitaire. La politique zéro Covid et les confinements très stricts en Chine ont d'ailleurs accéléré les départs, au point que les médias parlent d'un « exode des expatriés » ou d'une « fuite des cerveaux ».
La cosmopolite Shanghai est passée de 208 000 étrangers en 2011 à 163 000 en 2021. La gestion de la crise sanitaire a précipité les départs des expatriés. Ceux restés en ville ne cachent pas leur traumatisme, un an après. Ils constatent et comprennent le départ de leurs collègues et amis expats. Les autres grandes villes ne sont pas épargnées, et font également face au départ des étrangers. D'après l'ONU, plus de 310 000 étrangers sont parvenus à quitter la Chine en 2022, malgré les fortes restrictions. En octobre 2023, ils sont encore plus nombreux à avoir déjà quitté le territoire.
Ces expatriés qui émigrent sont programmeurs informatiques, ingénieurs, banquiers, chefs d'entreprise… Ils quittent des postes avantageux, et des salaires eux aussi conséquents. Sans regret. Ils préfèrent s'installer à Singapour, au Japon, en Australie, au Canada, en Allemagne ou en Norvège. Ces étrangers émigrés craignent le retour d'une politique similaire au « zéro-Covid ». Ils se disent également inquiets de l'influence de Pékin dans de nombreux domaines de la vie, et considèrent la balance vie privée/vie professionnelle trop déséquilibrée en Chine.
Une crise de l'immobilier qui impacte l'expatriation
En Chine, le prix des maisons continue de baisser. La crise immobilière a gagné tout le pays et impacte de nombreux secteurs économiques. Un mauvais signal pour les locaux comme pour les travailleurs et investisseurs étrangers. Les trois ans de politique zéro-Covid ont plombé le moral des individus, et plongé le pays dans l'incertitude. Symbole du naufrage : l'ex-géant immobilier Evergrande. Le promoteur chinois essuie une dette colossale, estimée à 328 milliards de dollars en octobre 2023.
Or, de nombreux locaux et étrangers ont investi dans l'immobilier. Certains projets sont arrivés à terme, mais d'autres chantiers sont toujours en cours, ou plutôt arrêtés. Les investissements, rentables sur le papier, ne le sont plus du tout en pratique. Les prix des logements continuent de baisser. Les clients, rares, y regardent à deux fois avant de se lancer dans un projet d'achat. Les petits investisseurs restent avec des logements inachevés ou inoccupés, quand ils ne souffrent pas de malfaçons. Même désarroi pour les acheteurs, qui désespèrent d'habiter un jour leur logement. Faute d'argent, les promoteurs ralentissent ou stoppent leurs chantiers. On estime qu'ils seraient plusieurs centaines de millions, précipités dans la précarité à cause de la crise immobilière. De nombreux acheteurs se retrouvent dans l'incapacité d'honorer leur prêt, et dénoncent l'inertie de l'État. Un État embarrassé (Xi Jinping avait beaucoup misé sur la reprise économique après l'arrêt du zéro-Covid) qui essaierait d'étouffer les voix contestataires.
L'immobilier, valeur sûre dans la tourmente
L'immobilier, réputé valeur sûre, était pourtant un pilier de l'économie chinoise. Il l'était encore en 2020, et assurait jusqu'à environ 25 % du PIB du pays. La chute des ventes observée depuis 2021 est d'autant plus alarmante. Elle s'ajoute à la crise sanitaire et la politique zéro Covid, qui impactaient déjà négativement l'économie. La fin du zéro-Covid devait relancer la machine, mais la Chine patine toujours. La morosité gagne tous les secteurs économiques, assombrissant les perspectives de carrière. Le chômage des jeunes explose. La consommation des ménages stagne. Les entrepreneurs étrangers délocalisent leur activité. Les expatriés plient bagage.
La Chine veut-elle retenir ses expats ?
Oui, martèle le Doyen Wang Wen, pour qui le pays doit améliorer sa politique économique et socioculturelle pour accueillir les étrangers. Côté économie, il exhorte le gouvernement à étudier l'accès des investissements étrangers dans les domaines de la finance, la banque, l'immobilier, le tourisme, la santé, l'environnement… Soit, les grands secteurs d'investissements. Côté social, il appelle à plus d'inclusivité et de respect des cultures étrangères. Il rappelle que la concurrence entre la Chine et les États-Unis impacte également l'expatriation, et que les discours hostiles aux étrangers de certains dirigeants politiques chinois nuisent à l'image du pays. Des expatriés subiraient également des pressions pour revenir en Chine. C'est ce que révèle le journal NBC news dans un article du 1er juin 2023. Un ressortissant américain et deux ressortissants chinois sont accusés « d'avoir fait pression » sur des expatriés pour qu'ils retournent en Chine.
Autre point de tension : les taxes. En 2018, Pékin instaure des exonérations fiscales pour les entreprises qui emploient des travailleurs étrangers. Initialement prévues pour 3 ans, ces exonérations sont étendues à 2 années, sous la pression des entreprises, notamment des multinationales. Alors que l'extension s'achève, les entreprises remontent au créneau pour demander une nouvelle prolongation. Elles préviennent : un arrêt des exonérations fiscales expose la Chine à une nouvelle fuite des cerveaux. Car d'après la Chambre européenne du commerce en Chine, une entreprise devrait débourser 800 000 yuans (plus de 110 000 dollars) pour recruter un travailleur étranger avec deux enfants. Les multinationales menacent une nouvelle fois de délocaliser leurs activités ailleurs.
D'autres voix soulignent que la Chine apprend à « faire sans ». Sans les expatriés, du moins, avec moins de travailleurs étrangers. Confrontées au dur confinement et au départ des expats, les entreprises de Shanghai ont recruté davantage de locaux, à tous les échelons. La situation s'observait avant Covid, mais s'est accélérée depuis la crise sanitaire. Plutôt que de chercher des managers, cadre et directeurs étrangers, pourquoi ne pas faire appel à la main-d'œuvre locale ? Interrogé le 1er avril 2023 par Radio France Internationale, Johnathan Edwards, directeur de l'agence de recrutement Antal à Shanghai, confirme. Il constate une baisse « de demande d'expatriés » et une augmentation des contrats locaux.
Ces expatriés qui misent sur la Chine
La Chine reste cependant attractive. C'est ce que révèle une étude HSBC de juin 2023, reprise par le gouvernement de Shanghai. Les auteurs de l'étude ont interrogé 7000 participants venant de 9 pays différents. En Chine continentale, 75 % des expatriés interrogés affirment qu'ils resteront en Chine durant les 12 prochains mois. Zhang Jun, responsable de la distribution, du patrimoine et des services bancaires aux particuliers chez HSBC pour la Chine, voit en ces chiffres les résultats positifs de la réouverture de la Chine au monde. La fin du zéro-Covid a en effet permis une reprise des échanges internationaux, et donc, le retour des expats.
Mais pour quelles perspectives de carrière et quel avenir ? D'après la Chambre européenne du commerce en Chine, 85 % des étrangers ayant quitté la Chine affirment que le traumatisme des confinements ne les encourage pas à revenir sur le territoire.