
Originaire des Abruzzes, Sara est une pharmacienne spécialisée en cannabis médical. Cela fait presque deux ans depuis qu'elle s'est installée dans le canton de Thurgovie, en Suisse. Un parcours parsemé de pépins, étant dans l’incapacité de trouver un emploi correspondant à sa profession initiale. Mais elle n'a pas baissé les bras. Aujourd'hui employée dans une maison de retraite qui offre différents types de soins médicaux, elle nous parle de la difficulté de se faire embaucher dans cette partie du pays lorsque l'on ne parle pas allemand et de l'importance d'apprendre la langue avant de s'expatrier.
Pouvez-vous vous présenter brièvement et nous parler de votre parcours ?
J'ai 30 ans et je viens des Abruzzes. C'est en avril 2019 que j'ai déménagé en Suisse après avoir trouvé un emploi depuis l'Italie. Mon expérience professionnelle en Suisse allemande a débuté après un entretien Skype et une semaine d'essai. Cependant, je me suis vite rendu compte que le salaire qui m'était offert ne correspondait pas à ce que j'avais demandé. Je me suis finalement résolue à demander de l'aide auprès du département des ressources humaines de l'entreprise. J'ai malheureusement été remerciée, l'entreprise considérant que je n'arrivais pas à m'intégrer en raison de mon manque de connaissances en langue allemande. Mes ennuis se sont enchaînés. Après 4 mois de recherche d'emploi, j'ai finalement décroché un poste dans un domaine auquel je ne suis pas familier. J'ai dû accepter, faute de quoi j'aurais été contrainte de rentrer en Italie criblée de dettes, comme celle de mon contrat de location.
Depuis combien de temps vivez-vous à l'étranger ?
Quand j'avais 25 ans, je me suis envolée pour le Portugal, suivi d'un bref passage à Berlin. Cela fait maintenant un an et demi que je suis en Suisse.
Où travaillez-vous actuellement ?
Je travaille dans une maison de retraite où je suis femme de ménage. Le week-end, je travaille à la blanchisserie, au café et au restaurant de l'établissement. Je viens de présenter une demande de reconnaissance de mes diplômes italiens en pharmacie. En parallèle de mon travail, je suis des cours d'allemand en vue d'obtenir un B2.
Quel type de visa faut-il obtenir pour vivre et travailler en Suisse ? Quelles sont les conditions à remplir pour l'obtenir ?
J'ai obtenu le permis de séjour B via la première entreprise qui m'avait embauchée. C'est elle qui s'est occupée de la paperasse. Mais il existe différents types de permis pour ceux qui souhaitent s'installer en Suisse pour des raisons professionnelles.
Un permis L est délivré aux personnes qui ont un contrat de travail à durée déterminée, généralement inférieure à une année. Les personnes qui recherchent activement un emploi en Suisse sont également éligibles pour le permis L (citoyens de l'UE / AELE) qui les autorise à rester en Suisse pendant trois mois. Cependant, ils ont l'obligation d'annoncer leur présence dans les bureaux de l'emploi locaux.
Le permis B est destiné aux personnes qui ont un contrat de travail à durée indéterminée ou d'au moins 12 mois (vous devez travailler au moins 3 à 4 jours par semaine, du moins dans le canton où je vis). Ce permis est valable 5 ans, mais la durée peut être prolongée dans des conditions favorables. Cependant, la prolongation peut être limitée à un an si la personne se retrouve au chômage pendant plus de 12 mois.
Le permis B s'adresse aux personnes qui n'ont pas d'emploi en Suisse, à condition qu'ils aient les moyens de subvenir à leurs besoins pendant leur séjour. Les travailleurs indépendants peuvent, quant à eux, obtenir un permis de séjour qui est valide 5 ans, à condition de pouvoir justifier leur revenu.
Les citoyens des 15 anciens États de l'UE et de l'AELE sont éligibles pour le permis C à durée indéterminée, généralement après cinq ans de séjour ininterrompu en Suisse.
Quelle est la procédure à suivre pour obtenir une reconnaissance de diplôme en Suisse ?
J'ai envoyé les documents requis à l'Office fédéral de la santé publique à Berne. Toutes les informations nécessaires sont disponibles sur le site officiel de la Suisse. Les frais vont de 800 à 1 000 CHF. Pour la profession de pharmacien, la copie originale certifiée conforme de la qualification professionnelle est requise. J'ai obtenu ce document après un examen d'État en Italie.
Je pense que je vais devoir faire un stage en pharmacie accompagné d'un cours de spécialisation.
Je suis actuellement à la recherche d'une pharmacie qui pourrait me donner cette opportunité. C'est assez difficile dans une région comme la Suisse-allemande puisque je n'ai aucune connaissance en allemand. De plus, Suisse est loin d'être un pays plus méritocratique que l'Italie, contrairement à ce que j'avais cru. Il est difficile d'y trouver un emploi sans avoir une bonne maîtrise de la langue, même si l'on est qualifié.
Comment se définit le coût de la vie en Thurgovie ? Combien coûtent le loyer, les factures, la nourriture, le transport par mois ?
Pour les loyers, il faut compter 800 CHF minimum par mois pour un studio, excluant les charges. La colocation n'est pas très répandue ici. Les factures varient d'une commune et d'un canton à l'autre, mais elles sont généralement élevées. La redevance de télé coûte à elle seule 450 CHF par an. L'assurance maladie me coûte 320 CHF par mois avec une franchise élevée. Ce qui signifie que je dois payer moi-même pour mes consultations médicales, ainsi que pour les médicaments. Cette année, j'ai dépensé plus de 6 000 CHF rien que pour des soins de santé. Le shopping coûte également très cher. En ce qui concerne le transport, le laissez-passer bus et train valable pour toute la Suisse coûte 340 CHF par mois. Comptez environ 2 500 CHF par mois pour des frais fixes de différentes natures. Pour manger au restaurant, faire ses courses, aller au cinéma ou à la salle de sport, c'est une autre histoire. Tout est cher ! Et si vous devez prendre des cours d'allemand, il vaut mieux avoir un budget. Mes cours m'ont coûté 3 600 CHF.
Quelles sont les erreurs à ne pas commettre lorsque l'on va s'installer en Suisse ?
Évitez de louer un appartement à vous seul en passant par une agence immobilière. Il vaut mieux rechercher une colocation qui vous coûtera moins cher. Cela vous aidera aussi à faire de nouvelles connaissances. En ce qui concerne l'assurance maladie, il est préférable de choisir une franchise faible et, surtout, de bien se renseigner auprès des différents assureurs. Je recommande également de s'installer dans des cantons comme Zurich, Bâle, Berne. Les opportunités professionnelles sont plus nombreuses et la communauté des expatriés y est plus présente. Cela facilite l'intégration. Mes conseils s'appliquent évidemment à la Suisse allemande. Je ne connais pas bien les parties italienne et française du pays. Aussi, évitez de vous faire trop d'illusions avant de venir. Ceux qui font ce choix, surtout ceux qui partent seuls, doivent être conscients du fait que rien n'est acquis. Il y a énormément d'efforts à faire pour s'intégrer dans ce système extrêmement rigide.
Vous êtes-vous fait de nouveaux amis depuis votre déménagement ? Les Suisses sont-ils accueillants envers les étrangers ?
Malheureusement non. J'ai rencontré beaucoup de monde mais je n'ai pas réussi à tisser de véritables liens d'amitié. Presque tous ont des préjugés sur les étrangers. C'est un pays très axé sur l'économie et c'est malheureusement une chose qui affecte le caractère des habitants. Je suis une personne très sociable et ça me manque vraiment d'avoir des amis. C'est pourquoi je recommande de vivre dans les grandes villes. Je souhaite d'ailleurs déménager dans un autre canton très prochainement.
Pensez-vous que votre B2 en allemand vous ouvrira de nouvelles voies professionnelles ? A quoi sert ce diplôme ?
Je sais déjà que je n'ai aucune chance de décrocher un poste de pharmacien sans le B2 en allemand. Dans mon cas, il était impossible de trouver un emploi qui me convenait sans avoir une bonne maîtrise de la langue. Chacune des offres d'emploi publiées exige le niveau B2 minimum. Vous avez donc de la chance si vous êtes un locuteur natif ou si vous connaissez le suisse allemand. L'anglais est la langue la plus demandée, suivie du français.
Les difficultés que vous avez rencontrées vous ont-elles déjà donné envie de quitter la Suisse ?
Oui, et je le pense encore souvent. Mais de nombreux autres aspects finissent par me convaincre de rester. C'est un pays extrêmement organisé avec des services qui fonctionnent. Par exemple, le train n'est jamais en retard, il y a toujours de la place dans le bus. La propreté est omniprésente, les routes sont parfaites et vous ne trouverez jamais de nids-de-poule. Tout le monde respecte la vitesse, ce qui fait que les routes sont sûres. Il n'y a pas de file d'attente dans les bureaux. Ce calme est parfois inquiétant. Mais en général, on se sent en sécurité. Les voitures sont rarement verrouillées, et il est rare qu'on ferme les portes de sa maison à clef. Aussi, les Suisses sont très respectueux de l'environnement.
Il existe de nombreux endroits magnifiques dans les montagnes ainsi que des lacs pour passer votre temps libre. Il y a des endroits où on peut faire un feu de bois, ainsi que des bancs et des tables en excellent état. Les animaux sont protégés. Même si les Suisses ne sont pas des gens très sociables, ils sont respectueux et généralement souriants. On dirait presque qu'ils n'ont aucun souci. La pauvreté est presque inexistante. Je trouve aussi qu'il y a moins d'arrogance et d'ignorance qu'en Italie. Encore moins de consumérisme et de besoin de paraître. Les Suisses aiment l'art et la forêt les aide à donner libre cours à leur créativité.
Quels sont vos projets d'avenir malgré les difficultés auxquelles vous avez fait face jusqu'à présent ?
J'espère pouvoir trouver un emploi qui correspond à mes compétences le plus rapidement possible et décrocher enfin mon B2. J'ai initialement déménagé en Suisse pour un emploi dans l'industrie du cannabis thérapeutique. L'Italie a une législation lente qu'il est difficile de changer, tandis que la Suisse est un pays ouvert au changement. Il offre d'excellentes opportunités à ceux qui s'intègrent et souhaitent travailler. Ou du moins il y a de l'espoir! Je dois encore comprendre cela aussi.
J'ai plein de projets mais il est encore tôt pour savoir s'ils se réaliseront ou pas. En Italie, des lois interdisent toujours le cannabis médical. En Suisse, il y a déjà des cantons où le cannabis a été complètement dépénalisé. Aussi (ce qui m'intéresse le plus), il y a des cliniques, par exemple pour l'épilepsie, qui mènent déjà des projets pilotes avec du cannabis médical. L'Italie, en revanche, ne donne pas cette possibilité aux pharmaciens.
En Italie, il n'y a pas de pharmacien de service. Avec la spécialisation en pharmacie hospitalière, nous pouvons uniquement travailler au sein de la pharmacie hospitalière. Seuls les médecins peuvent décider de la thérapie des patients et faire le suivi. Prenons le cas de l'héroïne : la Suisse a opté pour une politique antidrogue socialement durable, avec une distribution contrôlée d'héroïne et de méthadone. La majorité des toxicomanes aux opiacés en Suisse sont sous traitement à la méthadone et une petite proportion à l'héroïne. Ce modèle a été suivi par d'autres pays. Le changement qu'il a provoqué n'a été que favorable.
Commentaires
1