Originaire de France, Pascal a passé de nombreuses années en Ukraine, aux États-Unis, aux Caraïbes et en Indonésie avant de s'installer en Thailande en avril 2013. Au travers de cette interview, il nous livre ses impressions sur le « pays du sourire ».
D'où viens-tu, Pascal, et que fais-tu actuellement ?
Dans ma famille paternelle, on s'expatrie à chaque génération depuis un siècle – avant peut-être aussi, mais personne ne sait. C'est dire qu'on s'est installé dans quatre pays en quatre générations. La première expatriation a eu lieu à cheval, et c'était plus une fuite qu'une expatriation. Mais les événements géopolitiques – définition d'une frontière soviétique et bouclage de la zone – l'ont transformée en un changement de pays.
Avec de tels antécédents, j'ai toujours rêvé d'expatriation, mais par faiblesse, je me suis fait piéger par des considérations sociales et autres, et cela ne fait qu'une dizaine d'années que je vis à l'étranger.
Avant la Thaïlande, je vivais entre l'Ukraine et la France. J'ai passé beaucoup de temps aux États-Unis où j'ai failli émigrer définitivement, aux Caraïbes où j'avais un travail, mais un accident de dernière minute m'a obligé à rentrer, en Indonésie et dans divers pays où j'ai essayé de séjourner assez longtemps pour apprendre quelques rudiments de langue et sortir des visites guidées. Chaque fois, j'étais rappelé comme par un élastique et je revenais en France. D'où le titre de mon blog, évidemment : « Je ne reviendrai pas en France ». On a le droit d'être velléitaire...
Pourquoi as-tu choisi de t'expatrier en Thaïlande ?
Je ne suis pas certain d'être en Thaïlande pour les meilleures raisons. Un ami qui vit en Indonésie, chez lequel je séjournais, m'a proposé d'y aller faire un tour. D'autres amis m'avaient présenté cet endroit comme un pays de cocagne en ce qui concerne la beauté et la gentillesse des femmes. J'étais libre, j'y ai goûté, je suis resté. C'est aussi simple que cela.
J'ai maintenant femme et enfant. Par facilité, par pragmatisme, pour le confort de ma compagne durant les premiers mois de ma fille, je me suis installé là où elle le souhaitait, à quarante kilomètres de Korat : ville sans intérêt particulier, loin de la mer, en plaine. C'est Chartres sans la cathédrale ni la vieille ville – et sans les caves ni les fromageries. J'ai fait construire pour trois francs six sous une petite maison à quelques dizaine de mètres de la ferme des parents de ma campagne, et je me suis adapté.
Comment s'est passée ton installation ?
J'aurais pu continuer de vivre à l'hôtel. La vie est très peu chère, logement compris. Des arrangements sont toujours possibles. En revanche, le vagabondage n'est pas bien vu de l'ambassade de France : si on n'a pas d'adresse fixe, on a beau vivre 365 jours sur 365 en Thaïlande, on ne sera pas reconnu comme expat. Avec le recul, ça fait plutôt rire.
Quelles étaient les procédures à suivre pour qu'un citoyen français s'expatrie en Thaïlande ?
La facilité avec laquelle on obtient une autorisation de séjour des autorités thaïlandaises est sans comparaison avec l'obtention d'une green card (USA) ou d'un permis de séjour (Ukraine). Les démarches sont bien plus simple qu'en Indonésie et le niveau d'exigence moindre. Les contrôles périodiques sont beaucoup moins fréquents qu'en Russie. La corruption, ici (si elle existe !) est une option – pas une brutale obligation comme dans les pays ex-soviétiques.
Quelles sont les particularités du marché de l'emploi ? Est-il facile pour un expatrié d'y être embauché ?
Comme je travaille maintenant par internet et que j'ai d'autres revenus, je n'ai pas eu besoin de chercher un travail localement – mais je pense que si j'avais dû chercher un emploi, je me serais fait embaucher aux États-Unis et pas en Thaïlande ! Dans le monde du travail, les décalages culturels sont très sensibles, et je pense qu'il faut être un entrepreneur très courageux, méthodique et peu enclin à rêver pour se lancer dans le business ici.
Que penses-tu du mode de vie en Thaïlande ?
Il y a sans doute de nombreuses vies possibles en Thaïlande, et je suis loin de les connaître toutes. La vie à Bangkok, Pattaya, Chiang Mai où des expats se retrouvent, sortent, peuvent avoir une vie sociale sinon nocturne. La vie en campagne, par exemple dans l'Isan, où les « farangs » sont assez isolés : ils font construire, et mènent une vie tranquille pour peu qu'ils tombent sur une bonne épouse. Il y a d'autres variantes que je connais moins, vie dans les îles, ou sur la côte.
As-tu eu des difficultés d'adaptation à ton nouvel environnement ?
La Thaïlande représente un compromis intéressant pour l'expatriation. L'influence américaine y crée des malls, des routes d'assez bonne qualité, et encourage un système économique fondé sur l'initiative individuelle. Sur le plan politique, les coups d'État – nombreux – se font dans la continuité. Signe d'occidentalisation, le niveau d'élaboration de la publicité est assez élevé. On n'est pas tellement dépaysé. Les facilités administratives, le coût de la vie, la température plutôt clémente (surtout dans le nord du pays), l'absence de sectarisme religieux font que la vie est simple.
Mais il faut s'en contenter, il ne faut pas espérer beaucoup plus. Vivre dans ce pays est un suicide culturel. Le fossé entre la culture occidentale et la culture locale est bien trop large. La langue est d'un accès difficile pour deux raisons : c'est une langue tonale, comme le chinois, et donc difficile à prononcer et comprendre ; et l'alphabet est une purge, avec sa cinquantaine de voyelles simples et composées, et ses innombrables variantes pour les consonnes. Rien à voir avec l'Ukraine ou à l'inverse, les activités culturelles sont offertes sur un plateau : concerts, opéra où on peut avoir une bonne place en se présentant le soir même, tradition littéraire et intellectuelle d'un raffinement et d'une richesse inouïe. La bienséance voudrait sans doute qu'on accorde le bénéfice du doute à la littérature thaïe. Je ne dirai donc rien. Quant aux relations avec les autochtones, elles sont en général agréables, mais à mon sens très superficielles. Pour avoir une proximité avec quelqu'un, il faut partager quelque chose. Mais là, que partager ?
Qu'est-ce qui t'as le plus surpris à ton arrivée en Thaïlande ?
La Thaïlande vit sur des images de cartes postales. Les sites les plus beaux sont envahis de tourisme. La bienveillance que je trouve dans ma campagne fait place à une rudesse et une désagréable âpreté dans les endroits très fréquentés. L'architecture, pour des raisons que j'explique dans mon blog, est pauvre. Bien sûr, quand on vient de France, on aurait de la peine à trouver mieux.
Bref, je ne dirai pas que la Thaïlande est un beau pays, comparée à l'Indonésie par exemple, ses vingt mille îles, ses volcans, ses forêts vierges à Bornéo. Mais c'est un pays qui se gagne. Il y a des coins charmants, comme la vallée de Pai, dans le Nord. Il faut chercher, regarder la carte, sortir des chemins battus… et ne pas croire aux miracles. Pour le photographe, les lumières sont souvent dures quand il y a du soleil – je préfère les lumières grises de la saison des pluies.
A quoi ressemble ton quotidien à Korat ?
A la ferme, mon activité est routinière. Il se trouve qu'en Isan, il y a énormément de retenues d'eau pour les rizières et pour l'utilisation dans les maisons. Donc, beaucoup de plans d'eau, un peu justes pour faire de la planche à voile, mais grandioses pour nager. Je fais donc environ 10 km de crawl par semaine. Étant donné la température, je ne cours qu'en hiver, pendant deux mois, seulement quand il y a un coup de froid (cela prête à rire…) et qu'on peut s'agiter sans perdre deux litres d'eau – à 6h du matin au plus tard. Parcours sur les chemins au milieu des rizières et des nénuphars – moins de monde que le dimanche matin au jardin du Luxembourg...
Que fais-tu pendant ton temps libre ?
Sinon, en dehors de mon travail, je tiens deux blogs – « Je ne retournerai pas en France » qui évoque la vie quotidienne en Thaïlande, les rencontres, les choses amusantes ou paradoxales sur lesquelles on tombe, et « Brik Brak Brok » : outre de la critique littéraire et de séries américaines, j'essaye de tirer les conséquences pratiques pour notre vision quotidienne du monde des découvertes ahurissantes de ces 20 dernières années en neurophysiologie et en physique quantique. Et j'ai décidé d'écrire des romans - le premier est publié, le second le sera dans quelques jours – je vous donne le titre, si cela vous intéresse : « le Scorpion et le Hussard ».
Quels sont tes projets d'avenir ?
Le temps passe vite dans cette apparente immobilité. Dans trois ans, il faudra sans doute aller vivre à Bangkok pour que ma fille entre à l'école française. Adieu, natation dans ma piscine de 500 m x 500 m, adieu les courses dans les rizières, adieu la tranquillité. Mais il y aura sans doute d'autres plaisirs. Et si Bangkok ne va pas, ce sera ailleurs. Le monde est vaste.