On les présente comme le futur mode de travail dominant. Le travail à distance continue de faire des émules dans le monde, au point que certains économistes estiment qu'un travailleur sur 3 sera télétravailleur, télétravailleurs travailleurs à distance expatriés inclus (leur proportion devrait même augmenter). D'autres, en revanche, martèlent que le « bon vieux bureau » n'est pas mort. Les progrès technologiques entrent dans le débat, prêts à semer les trouble-fêtes. Quand les licenciements se multiplient et que l'intelligence artificielle (IA) entre dans la partie, la menace plane sur certains métiers.
Licenciements dans la Tech : sauve-qui-peut
L'un des secteurs phares des talents étrangers se sépare de ses meilleures recrues. Les expatriés font les frais de cette « politique de la ceinture ». Fin 2022 aux États-Unis, nombre d'expatriés licenciés de la Tech craignaient pour leur visa (H-1B). Cette année, la vague de licenciements continue, aux États-Unis comme dans d'autres pays du monde. Pour fêter le printemps, Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp) annonce 10 000 suppressions de poste. Le groupe avait déjà licencié 11 000 salariés fin 2022, et gelé les embauches jusqu'en mars 2023. C'est un mal nécessaire pour Mark Zuckerberg, qui voit 2023 comme « l'année de l'efficacité ».
La fin de l'âge d'or pour les talents étrangers ?
En attendant, les effectifs mondiaux baissent aussi chez les autres grands groupes. En janvier, Alphabet (Google, YouTube) annonce 12 000 licenciements dans le monde. C'est -18 000 travailleurs dans le monde pour Amazon, et -10 000 pour Microsoft. Spotify, Uber, Snapchat, Salesforces, Netflix… Les géants de la Tech taillent dans leurs effectifs, parfois avec fracas. On se souvient des licenciements massifs opérés par Elon Musk dès son rachat de Twitter. La société ne compte plus que 2000 salariés, contre 7500 avant le rachat. En février, Musk annonce 200 licenciements supplémentaires.
Que se passe-t-il ? Il n'y a encore pas si longtemps, étudier dans l'informatique ouvrait les portes de tous les géants du milieu. Les étudiants internationaux rêvaient d'un stage à Meta, Apple ou Microsoft, ticket d'entrée pour une expatriation de rêve. Ils trouvent même une alternative en travaillant à distance pour ces géants étrangers. Les licenciements de 2022 ont coupé net les aspirations des étudiants, forcés de se réinterroger sur leur avenir. Tous ces métiers réalisables à distance le seraient aussi avec de moins en moins d'effectifs, grâce aux progrès technologiques. Des progrès justement réalisés par les talents de la Tech. Faut-il pour autant enterrer tout un secteur ? Non, car en même temps, l'innovation continue de recruter dans le monde. Et le travail à distance démultiplie d'autant les opportunités professionnelles. La Tech reste un maillon incontournable de l'économie mondiale. Elle compose juste avec de nouveaux acteurs ; un, en particulier, pourrait bien révolutionner l'organisation du travail international.
L'IA remplacera-t-elle l'expatriation ?
À quoi bon faire appel à un expatrié lorsqu'une intelligence artificielle peut remplir la mission ? Pour certains employeurs, la réponse est toute trouvée. Les États ont beau multiplier les mesures pour faciliter l'embauche des talents étrangers, la paperasse reste la paperasse. À l'heure où le temps est plus que jamais de l'argent, certains employeurs ont fait le choix de l'IA.
A-t-on encore besoin des expatriés ?
L'idée n'est pas vraiment nouvelle. À chaque crise économique se pose la question de l'expatriation. On a l'habitude de la mettre en concurrence avec la main-d'œuvre locale. Devrait-on se passer des coûteux expatriés pour capitaliser sur les nationaux (surtout en période de chômage) ? La question a pris plus d'ampleur durant les premiers confinements. D'aucuns pariaient sur la mort de l'expatriation. C'était sans compter sur les indispensables flux migratoires. Sitôt les frontières rouvertes, les voyages ont repris. De nouveaux expatriés ont même vu le jour, poussés par un fort désir de liberté après des mois coincés dans leur logement. Le boom du télétravail en a entraîné un autre : le travail à distance à l'international (nomadisme numérique, télétravail international). Un bon moyen pour les entreprises de profiter de l'expertise des talents étrangers tout en s'épargnant les contraintes d'un recrutement physique.
Développement technologique : quels métiers sont en danger ?
Avec le développement accéléré de l'IA, la question se pose de nouveau, surtout dans les domaines où l'IA fait de plus en plus ses preuves. A-t-on encore besoin des expatriés ? Les métiers de la Tech sont les premiers visés. Développeur web, développeur logiciel, programmeur informatique, ingénieur logiciel, data scientist ou data analyst seraient en danger à l'avenir. OpenAI, société créatrice de ChatGPT, envisage même de former son IA pour remplacer ses développeurs. Ces métiers sont pourtant parmi ceux qui recrutent le plus de talents étrangers.
Les talents de la Tech ne sont pas les seuls à redouter les nuages gris. L'avenir pourrait être plus précaire pour les métiers des médias et de la création de contenus (journaliste, rédacteur web, publicitaire, pigiste). Les optimistes rappellent que l'IA ne dispose pas (encore ?) d'esprit critique. Les autres soulignent les incroyables facultés de l'intelligence artificielle, capables, selon eux, de rattraper, voire dépasser celles des meilleures plumes internationales. Mêmes inquiétudes pour certains métiers du juridique (assistant juridique, parajuriste), du marketing (analyste de marché, community manager…), de la finance, de la comptabilité, du secrétariat ou du graphisme.
Tous ces métiers ont un point commun : ils peuvent s'effectuer à distance. De plus, ils utilisent des outils technologiques qu'utilise l'IA. Plus étonnant, les métiers d'enseignant et de formateur seraient également dans le viseur de la révolution technologique.
Quel avenir pour le travail à distance ?
Pour autant, il est encore trop tôt pour remiser visas et permis de travail au placard. Le télétravail à l'étranger continue de se développer, surtout dans les grands groupes. Il doit cependant encore faire face à de nombreuses barrières juridiques. Ce n'est pas le cas de l'expatriation version nomade numérique. Ces travailleurs (dont nombre d'entrepreneurs individuels) quittent leur pays pour exercer leur activité dans un autre État, avec des clients venant eux aussi d'ailleurs. Ce modèle de travail a le vent en poupe. Pour gagner en attractivité, de plus en plus de pays proposent des visas de nomade numérique.
Reste la question des métiers en danger, toujours ouverte. Les illustrateurs et photographes tirent déjà la sonnette d'alarme, soucieux de voir leur travail dérobé par des hordes de MidJourney. Toutes les professions visées par l'appétit de l'IA exigent davantage de protection. Les créateurs eux-mêmes prennent conscience que l'innovation risque de leur glisser entre les doigts. À moins que cela ne soit déjà le cas.