Marc, tu as quitté la Belgique pour aller vivre en France, mais le Pérou semble mieux te correspondre. Comment ce pays t'a-t-il séduit ?
Je pense être parfois un rien impulsif, sans pour autant sauter de l'avion pour voir comment je fais une fois en l'air. Impulsif, mais réfléchi. La décision d'aller au Pérou vient au départ de mon souhait de « bouger ». Je vivais en région parisienne depuis 12 ans et... j'avais envie de changer d'air. L'idée de départ était la région de Bordeaux voire l'Espagne. Un jour, un ami péruvien m'a dit « Et pourquoi pas le Pérou ». En effet... pourquoi pas ?
Après quelques recherches sur le web (politique, stabilité, obtention d'un droit de travail, etc.), j'ai franchi le premier pas - la prise de décision - au bout de 15 jours. C'est la partie « impulsif ». Au bout de 2 mois, et avec pas mal d'autres investigations, j'ai confirmé ma décision (l'aspect « réfléchi »), puis j'ai donné ma démission (de 4 mois, j'étais cadre). Ça fait donc 8 ans, eh oui, le Pérou me plait toujours autant !
As-tu fait un premier voyage de découverte ?
On n'apprend pas à nager en allant voir la piscine, mais en se jetant à l'eau. Un ou plusieurs voyages de découverte donnent une image biaisée d'un pays. On y va avec son argent européen, on découvre la vie superficielle (les vacances), on n'a pas le stress de la vie quotidienne et on sait qu'on va rentrer au pays à une date précise. La vie « réelle » c'est aussi les tracas de la vie de tous les jours, payer son électricité, aller à l'hôpital, l'administration. Tout cela n'apparaît pas lors d'un voyage de découverte. Lorsque je suis venu, j'avais pris soin de prendre le billet de retour 15 jours après mon arrivée. Histoire d'être sûr de ne pas l'utiliser.
S'installer au Pérou c'est d'abord respecter des conditions. Dans les grandes lignes, quelles sont les formalités à remplir pour un citoyen de l'UE désirant vivre au Pérou ?
Ce serait assez long de donner tous les détails. Tout d'abord, ayez un niveau d'espagnol minimal. Sans quoi, vous serez toujours dépendant de quelqu'un pour vos démarches. Cependant, au début, faites-vous accompagner par un ami hispanophone pour vous traduire les termes plus techniques.
En gros, il faut demander un visa de touriste de 6 mois (le maximum) lors de votre entrée au Pérou en expliquant que l'on va procéder aux démarches d'immigration. Ensuite, il faut rendre sur le site de la DIGEMIN (administration de l'immigration) et selon sa situation, réunir les documents demandés. Le plus simple est un contrat de travail (ce doit être un CDD d'au moins 1 an). Attention, les entreprises péruviennes ne peuvent embaucher qu'un pourcentage limité d'étrangers. Le contrat de travail doit être validé par le Ministère du Travail péruvien. Ils y sont en général sympas et vous aident bien.
Sinon, il est aussi possible de monter son entreprise. Pour cela, il faut un investissement de 30.000 $, un business plan et s'engager à embaucher 5 Péruviens dans l'année. D'autres options (visa étudiant, artiste, religieux, réfugié) sont aussi possibles. Ne tombez pas dans le piège des « tramitadores » ou de certains avocats, ce sont des personnes qui s'occupent de vos démarches moyennant finances. Cela n'est en général pas une bonne idée et revient cher. Les démarches ne sont pas très difficiles. Lancez-vous !
Puisque nous sommes dans les formalités, trouver un logement est-il compliqué dans ce pays ? Quelles ficelles pourrais-tu partager avec les futurs expatriés ?
Trouver un logement n'est pas trop difficile, pour autant que vous restiez un an. Sans quoi, bien que ce ne soit pas trop difficile de trouver un logement de courte durée, cela revient assez cher. Les journaux ou le web sont une bonne source d'infos. Les agences immobilières sont par contre à éviter, a moins de n'être pressé et/ou d'avoir trop d'argent.
Les prix au Pérou, et particulièrement à Lima, sont assez élevés. Dans la capitale, l'offre est vaste et variée. En province, elle est plus limitée et la qualité des logements y est parfois moindre. Évitez les meublés à moins de rester moins de 6 mois. Vous allez vivre au Pérou, achetez les meubles peu à peu. Il y en a pour tous les prix. Faites légaliser le contrat de location auprès d'un notaire sérieux. Il demandera au propriétaire de justifier de son titre de propriété. Sans quoi, vous risquez de louer un bien à quelqu'un qui ne le possède pas...
En général, vous paierez un mois de garantie (parfois 2) et un mois d'avance. Faites un bon inventaire avant d'emménager. Posez la question du prix du « mantenimiento » et ce qu'il inclut. Normalement, cela inclut l'électricité des zones communes, l'eau, l'entretien. Vous devrez aussi payer les taxes municipales, l'éclairage public, les poubelles. Le propriétaire est supposé vous donner un reçu, mais ce n'est pas une règle (ils ne paient ainsi pas leurs impôts). Faites tous vos paiements par banque, jamais en cash. Ce sera un bon justificatif « au cas où ».
Tu parles de la motivation comme étant un élément essentiel pour l'expatriation au Pérou.
S'expatrier pour « voir » est un gage de problèmes. Il faut en vouloir pour laisser un pays (la France) où tout est servi sur un plateau d'argent et vouloir vivre au Pérou où rien ne vous est offert. Pas de chômage, pas de sécu à la française, pas d'aides. Rien (ou presque). Et pour ceux qui pensent que la France c'est moche et que le travailleur est exploité, au Pérou c'est pire. 48 de travail, heures supplémentaires rarement payées, droits limités, pas de chômage, etc.
Le Pérou est un pays où il fait bon vivre, mais sans travail, on finit rapidement dans la rue. Il faut en vouloir et bien être certain de ses raisons. Venir au Pérou pour avoir rencontré l'amour par Internet finit trop souvent mal. Le choc culturel et les intérêts finiront par mettre à mal une relation trop virtuelle.
Comment décrirais-tu une personne qui affiche la motivation nécessaire pour une telle aventure ?
Il faut aimer la vie simple, se défaire de ses petites habitudes alimentaires, accepter de ne s'en prendre qu'à soi même si les choses vont mal, comprendre que les lois péruviennes ne sont pas les lois françaises, accepter certaines « injustices » et se fondre dans les us et coutumes du pays. Penser que le Pérou est un pays « pauvre » où vous pouvez faire tout et n'importe quoi est une illusion. Soyez prêt à « oublier » la France. Fini les 35 heures, fini la visite chez le médecin à 2 ou 3 euros, fini le remboursement des soins de santé, etc.
Le Pérou est un pays superbe si vous acceptez de vous mettre à son niveau. Le Pérou n'a pas besoin de vous ni de la baguette, du croissant, du camembert ! Il vit bien sans vous. ll vous faudra vous intégrer, parler la langue, accepter les bonnes et les mauvaises habitudes. C'est le prix du bonheur ici (et ailleurs !).
Tu as habité quelques années à Lima, cette ville compte-t-elle de nombreux expatriés ? Y a-t-il un quartier que les expatriés affectionnent particulièrement ?
En gros, Miraflores, San Isidro, Barranco, La Molina sont les districts les plus agréables, surs, et donc, occupés par une frange de la population plus argentée et par les expatriés (oui, même une personne de la classe moyenne en France sera vue comme un riche au Pérou). Cette liste n'est pas limitative ! Après, à vous de faire votre trou. Certains quartiers populaires ont leur charme, mais renseignez-vous quant à la sécurité. En province, il y a bien moins d'expats. Pas de quartiers spécifiques. La province est bien plus sure, donc donnez-vous carte blanche et écoutez votre instinct.
En tant qu'étranger, est-il facile de nouer des contacts avec les Péruviens ? Comment as-tu été accueilli ?
Très bien ! Les Péruviens sont en général ouverts, amicaux et curieux. Évitez toutefois de ne pas vouloir imposer votre mode de vie. Les Français sont généralement vus comme assez arrogants. Soignez cet aspect de votre personnalité !
Faites cependant attention. Les Péruviens pensent que vous avez beaucoup d'argent. Gardez cet aspect secret. Ne donnez jamais d'argent et un prêt termine régulièrement en un don...
Attention aussi à l'amour ! Les Péruviens aiment les étrangers. Même si les raisons sont louables (le contraire est, hélas, assez répandu), ils ont tendance à ne pas vouloir « fusionner » avec votre culture. Cela prendra du temps, et attendez-vous à devoir vivre « à la péruvienne » !
En 2015 tu as quitté Lima pour Cusco, qu'est-ce qui différencie les deux villes ?
C'est la différence entre une ville tentaculaire de près de 10 millions d'habitants et une de 350.000 personnes au beau milieu des Andes Péruviennes, à 3400 mètres l'altitude, en pleine nature. L'une, stressante, encombrée, polluée, parfois dangereuse. On appelle Lima « la grise ». Pour son ciel et ses toits poussiéreux. Il n'y pleut en effet presque jamais.
L'autre, plus relax, parfois surchargée, mais dans les limites du raisonnable, avec un air pur et relativement sûr. Cusco reste une ville humaine. Le côté touristique fait que l'on y trouve l'essentiel des grandes villes : cinés, un centre commercial, des boutiques, des universités, de bons restos, des bars sympas, mais aussi un cadre superbe, proche de la nature, des températures entre 0 et 25 degrés, et tout cela au milieu de la capitale archéologique des incas, dans l'une des plus belles villes du Pérou.
Le tout a finalement 1 heure de Lima en avion. Bref, un bel endroit pour y vivre. Y trouver du travail n'y est pas aussi facile que dans la capitale, l'essentiel de l'emploi est lié au tourisme et les salaires généralement plus bas que dans la capitale.
À la personne qui a du mal à choisir entre Lima et Cusco, que conseillerais-tu ?
Tout dépend des besoins et des envies ! Cusco est superbe, mais Lima reste la capitale économique du pays. Y trouver du travail y est donc plus aisé. Si comme moi vous avez la chance de travailler en ligne, ou si vous avez un projet d'entreprise adapté, je recommande Cusco. Pour l'entreprise, pensez-y bien sérieusement. Les clients sont plus limités et leur niveau économique plus faible, sauf si vous pensez au tourisme.
Pour une belle retraite, Cusco est aussi un excellent choix (si votre santé vous autorise les 3400 mètres d'altitude). La vie y est bien plus saine. Attention cependant, les soins de santé particuliers peuvent y faire défaut. Renseignez-vous.
Pour un premier contact, trouver un emploi ou étudier, Lima propose plus d'options. Il en va de même pour un projet de commerce.
Arequipa est aussi un choix intéressant, la ville est plus petite et humaine que Lima, plus accessible aux retraités vu son altitude moindre. Personnellement, je ne suis pas tombé amoureux de la « ville blanche », mais ce serait aussi un bon choix.
Comment décrirais-tu le coût de la vie au Pérou ?
Alors là, je vais en décevoir certains. Les loyers sont élevés. À Lima, à Miraflores par exemple, un logement de 2 ou 3 chambres frôle les $800-1 000. À Cusco, pour un logement de qualité, comptez un bon $5-600. Et pas d'APL ! Pour l'alimentation, les marchés locaux sont généralement intéressants, mais ne pensez pas trouver vous denrées à des prix de misère.
Certains produits en grande surface sont parfois moins chers qu'au marché. Les supermarchés sont à mon humble avis au moins aussi chers qu'en France. Mais vous y trouverez des produits un peu plus sophistiqués. La viande et le poisson y sont aussi plus hygiéniques.
Les produits technologiques sont en général au prix européen, parfois moins chers. Internet et la téléphonie sont abordables.
Les soins de santé sont quant à eux chers. Il est essentiel d'avoir une couverture de santé péruvienne (ESSALUD). Cette couverture prend en charge une partie des frais, mais bien moins qu'en France. Les assurances expats sont uniquement pour les séjours de courte durée. Vous pouvez aussi souscrire à une assurance privée, mais comptez 2 000 $ par an, et une fois de plus, tout n'est pas couvert.
Bref, le Pérou n'est pas bon marché. Et les salaires plus faibles. Avec un emploi « normal », je dirais que le pouvoir d'achat est moindre qu'en France.
Concernant l'emploi, est-il facile pour un étranger de trouver ? Quel est le salaire moyen ?
Étranger ou pas, trouver un emploi est comme en France, il faut avoir de la chance et bien chercher. Les réseaux d'amis et de connaissances sont un excellent système. Envoyer des CV par mail est en général inefficace. Les offres d'emploi des journaux sont en général plus fructueuses. Être un étranger n'est pas un avantage, sauf si vous avez une formation bien spécifique et qu'en général les Occidentaux sont plus ponctuels, plus « formels » que les Péruviens. Attention à bien avoir vos diplômes originaux apostillés. Les RH péruviens aiment avoir un tas de papiers, des diplômes, des recommandations, etc.
Un étranger doit passer par certaines démarches préalables pour pouvoir être embauché, ce qui peut rebuter certaines entreprises peu habituées à ce genre de procédures, surtout si c'est votre premier emploi en vue d'obtenir un titre de séjour. Maitriser la langue est un avantage évident, voire essentiel. Terminons par les salaires. Ils sont bas, parfois très bas...
Le salaire minimal est de 850 soles (soit 230 euros pour 48 heures par semaine) sur 14 mois. Pas de vraie grille de salaire ici. Vous pouvez gagner 500 ou 2 000 euros pour un emploi très similaire. Une bonne moyenne de salaire est de 2 000 soles soit 5-600 euros. Pas bien énorme. Et, je le rappelle, aucune aide sociale. Certains emplois sont payés grassement, mais ils sont rares.
Question loisirs, avec un terrain de jeu de près de 500 000 km², comment occuper son temps au Pérou ?
Alors là, vous avez le choix ! Entre la plage, la montagne, l'aventure, la gastronomie, le sport, la culture, etc., le Pérou vous offre un peu de tout. Attention cependant aux distances entre 2 régions. Le Pérou c'est 2 fois la France métropolitaine. Cusco - Lima c'est 1 000 km par la route, soit 24 heures de voyage (1 heure en avion !).
Est-il abordable logistiquement et financièrement d'aller visiter les pays voisins ?
Depuis Lima, le pays le plus proche est à plus de 1 000 km ! Par contre, l'avion dessert tous les pays de la région. Comptez un bon 3-400 euros pour la Colombie, le Chili, l'Équateur ; l'Argentine ou le Brésil sont un peu plus chers. Visiter le Pérou est abordable, surtout en bus (si vous n'êtes pas pressé). De Lima à Arequipa, vous paierez un bon 25 euros et passerez quelque 18 heures en route. Cusco, ce sont 22-24 heures pour 30 euros en bus. Les villes proches de Lima sont à 5-10 euros (les tarifs sont pour un aller simple). Iquitos, une ville de la forêt amazonienne hors normes, n'est accessible qu'en avion (ou en 3 jours de bateau). Je recommande d'y aller ! Attention aux moustiques et à la chaleur... Notez que les avions -vols intérieurs- ont parfois un prix différent selon que vous soyez touriste ou résident.
Où te vois-tu dans cinq ans ?
Aucune idée ! J'espère poursuivre mon aventure péruvienne, mais je ne suis pas fermé à autre chose. Ce qui me guidera ce sont les envies, le travail et les amours. Au Pérou, on apprend le sens de l'éphémère. Mais je pense que c'est une vertu nécessaire si l'on pense à s'expatrier. Pour le moment, je ne pense pas à bouger. Cusco me plaît et j'aimerais même y acheter un logement. Mais pourquoi pas dans une autre ville ? Un bon expat qui profite de la vie est un expat flexible. On en reparler dans 5 ans !