
On l'appelle « la Grande Démission » (The Great Resignation). Aux États-Unis, la tempête sévit depuis plus d'un an, avec des pics qui donnent des sueurs froides aux recruteurs ; comme en novembre dernier, avec plus de 4,5 millions de démissions. En Europe, pas de grande démission. Mais des secteurs entiers sont en manque de personnel et tirent la sonnette d'alarme. Les ruptures conventionnelles s'accumulent. Dans le même temps, de plus en plus de travailleurs aspirent à d'autres horizons : vivre en harmonie avec ses valeurs, se réaliser, changer de carrière… Et si la grande démission était une remise en cause du système de travail ? L'esprit d'entreprise, les valeurs, le rapport au travail ont-ils changé ? Comment s'accorder avec les valeurs d'une entreprise, aujourd'hui ?
Ce que la grande démission dit du rapport au travail
C'est une nouvelle tendance des réseaux sociaux. Démissionner en public. Les vidéos se multiplient et deviennent virales. Les salariés n'hésitent pas à mettre en scène leur départ. Certains optent pour l'humour. D'autres en profitent pour régler leurs comptes avec l'entreprise. Aux États-Unis, la grande démission touche tous les secteurs économiques, et toutes les catégories socioprofessionnelles (CSP). En Europe aussi, les pénuries de main-d'œuvre touchent des secteurs et CSP variés. Bien plus qu'un ras-le-bol, ces démissions massives interrogent le rapport à soi et au travail.
Le confinement dur de mars 2020 a fait naître l'interrogation. Cette période de « monde à l'arrêt forcé » a remis en question le rapport au travail, à soi, au temps, aux autres. Beaucoup de salariés ont ainsi réalisé qu'ils passaient trop de temps au travail, qu'ils ne connaissaient pas leur environnement proche, qu'ils n'aiment pas/plus leur travail, leur environnement de travail, et/ou les valeurs de leur entreprise. Certains ont été déçus par l'attitude de leurs supérieurs durant le confinement. Aux États-Unis, les licenciements par visioconférence ont choqué, et les Américains, et le monde. L'ultralibéralisme a ses limites. Les salariés revendiquent plus d'humain, d'empathie, de considération et de respect.
Des valeurs humaines qui font écho au besoin de calme, de tranquillité, de temps. Au « toujours plus vite », ces salariés qui démissionnent opposent le « à mon rythme ». Du moins, à un rythme moins soutenu. Les employés soumis à une forte pression du marché partent là où les conditions de travail et le salaire sont meilleurs. Stress, anxiété, burn-out… La souffrance au travail n'est plus cachée. Le problème devient sociétal. La « valeur travail » n'est plus célébrée en soi, mais s'intègre dans une vision plus large des relations humaines.
Valeurs de l'entreprise et valeurs du candidat
Quelles questions poser à son futur employeur ? Traditionnellement, ce sont les candidats qui s'attendent à être interrogés. Mais eux aussi peuvent interroger leur entreprise, notamment sur sa culture. Le bien-être, l'épanouissement professionnel et le bonheur au travail occupent une place de plus en plus grande dans le débat social. Les candidats peuvent hésiter à interroger leur recruteur. Au contraire, saisir le moment des questions/réponses (traditionnellement en fin d'entretien) donne un nouveau ton à la discussion. On dépasse les chiffres, le factuel et la technique pour s'intéresser à l'ambiance et aux humains qui la façonnent. Puisque l'on passera la majeure partie de ses journées sur son lieu de travail, ces questions méritent d'être posées. Les télétravailleurs sont aussi concernés. Mauvaises conditions de travail et ambiance délétère menacent, en effet, jusque dans l'espace privé.
D'où l'intérêt de se questionner sur ses propres valeurs. Faire des recherches sur l'entreprise visée permettra d'avoir un premier retour, positif ou non. Est-on vraiment fait pour cette société ? A quel point veut-on ce poste ? Quelles concessions est-on prêt à faire ? Cette première analyse donnera, là encore, un premier retour, positif ou non, quant à sa capacité d'adaptation. Pour certains candidats, l'examen s'arrêtera là. Leurs valeurs sont trop éloignées de celle de l'entreprise ; ils sentent qu'ils ne s'adapteront pas. Pour d'autres, l'examen se poursuivra lors de l'entretien d'embauche.
Quelles questions se poser ?
Avant de questionner le futur recruteur, un retour sur soi s'impose. A chacun de dresser son propre « profil » en s'interrogeant sur ses goûts, ses aspirations, son rapport au travail… Le fameux j'aime/je n'aime pas a ici toute son utilité, et est beaucoup plus subtile qu'il n'y parait.
Qu'est-ce que j'aime ? (écrire ce qui vient à l'esprit sans trop réfléchir).
Qu'est-ce que je n'aime pas ? (même exercice)
Qu'est-ce que j'aime faire / n'aime pas faire dans mon travail ? (prendre le temps d'établir une liste)
Qu'est-ce que je peux faire / ne peux pas faire dans mon travail ?
Qu'est-ce que je veux faire / ne veux pas faire dans mon travail ?
Les réponses à ces questions en diront plus sur vos goûts, vos aspirations, vos limites, les contraintes que vous êtes prêt à accepter pour le poste. Questions qui interrogent vos valeurs :
Quelles sont mes priorités (famille, travail…) ?
Quelles sont mes valeurs (en général) ? Au travail ? S'adaptent-elles avec celles de l'entreprise ?
Jusqu'où suis-je prêt à aller pour défendre mes valeurs ?
Qu'est-ce que je ne supporte pas ?
Est-ce que je m'adapte facilement ? (changement de management, évolution du poste, ambiance…)
Quelles sont mes qualités ? Mes défauts ?
Suis-je fait pour le travail en groupe ? Le télétravail ? Les horaires décalés ? Le travail de nuit ?
Suis-je fait pour le travail de bureau ? En extérieur ? Avec des déplacements nombreux ?
Qu'est-ce qui me motive, dans mon travail/pour le poste recherché ?
Quelles concessions pourrais-je faire, au travail ?
Qu'est-ce qui pourrait m'amener à démissionner ?
Quelles questions poser au recruteur ?
La première partie de l'entretien passée, vient le temps de l'échange. Montrez-vous attentif, curieux, et surtout pas enquêteur. Vous restez un candidat face au recruteur. Évitez d'aborder les questions sous forme de problème, ou de manière à sous-entendre qu'il y en aurait un. Si le recruteur a évoqué ces questions durant l'entretien, rien ne vous empêche d'y revenir en demandant un approfondissement (d'où l'intérêt de prendre des notes) :
Comment ça va dans l'entreprise ? Comment est l'ambiance ?
La question est plus subtile qu'il n'y paraît. Le recruteur est-il surpris ou déstabilisé ? Son langage non verbal le trahit-il ? Répond-t-il spontanément ou mécaniquement ? Cherche-t-il ses mots ? Sa réponse et son attitude vous renseigneront davantage sur l'ambiance réelle de l'entreprise.
Si l'entreprise a une devise : comment cette devise vous est-elle venue ?
Si l'entreprise inscrit ses valeurs sur son site Internet, dans sa communication : pourquoi ces valeurs ?
En l'absence d'informations : quelles sont les valeurs de l'entreprise ?
Quelle est la politique de l'entreprise en matière de diversité ? De développement durable ?
Êtes-vous engagé/soutenez-vous une association ?
Parce que l'entreprise est aussi une sphère sociale, les questions sociétales y ont toute leur place. Observer les infrastructures de l'entreprise vous donnera un premier avis sur l'accessibilité aux personnes en situation de handicap. Il n'est pas nécessaire d'être concerné par la question (handicap, diversité…) pour s'y intéresser, au contraire. Si le recruteur s'étonne, vous pouvez lui rappeler vos valeurs. Même positionnement pour l'écologie : électricité, capsules de café, papier, encre, pollution numérique… Où en est l'entreprise ? N'oubliez pas que le recruteur peut vous rendre la pareille. Évitez de l'interroger sur ces thèmes si vous-même n'êtes pas porté dessus.
Le recruteur définira forcément son entreprise en utilisant un vocabulaire positif (le contraire serait surprenant) : « dynamique » « accueillante » « chaleureuse » « ouverte » « novatrice » « moderne »… Demandez-lui des exemples concrets. Comment cela se voit-il au quotidien ?
Demandez au recruteur des précisions sur l'histoire de l'entreprise, et surtout, sur son histoire dans l'entreprise. « Et pour vous, comment était-ce à votre arrivée ? » « Qu'est-ce qu'il vous a plu dans l'entreprise ? » Faire parler le recruteur de lui, et de sa place dans l'entreprise, vous en dira plus sur l'environnement global, les perspectives d'évolution professionnelle, les échanges dans l'entreprise etc.
Comment être sûr de s'adapter aux valeurs de l'entreprise ?
Un trop grand écart entre ses valeurs et celles de l'entreprise indique clairement que l'adaptation sera difficile, ou se fera au détriment de la santé du salarié. Ce grand écart peut être ressenti dès la phase de recherche, après l'entretien d'embauche, ou après l'embauche. Détecter d'emblée une incompatibilité entre l'entreprise et soi permet de ne pas s'investir à perte.
Mais difficile de toujours savoir si l'on pourra s'adapter aux valeurs de l'entreprise. Car l'entreprise change. L'ambiance change. Les individus changent. Ces changements internes peuvent jouer en faveur ou en défaveur de l'adaptation du salarié. Sur le plan externe, un changement d'orientation, de stratégie, de management, de localisation etc. peut également impacter le salarié. Les conditions de travail ne sont plus les mêmes. L'entreprise mise plus sur la rentabilité que sur l'humain. La culture d'entreprise est différente. La parole des salariés n'est plus prise en compte. Le poste ne correspond plus au salarié etc. Ici, nulle question d'incompétence. Ce sont bien les stratégies de l'entreprise qui modifient ses valeurs, et impactent le salarié.
Là encore, le premier réflexe est de faire le point pour cerner le problème. Qu'est-ce qui ne va pas ? Quelle valeur dérange ? Est-ce le salarié ou l'entreprise qui a changé (ou les deux) ? Peut-on s'adapter, ou pas ? Ce changement joue-t-il sur la qualité de travail, de vie, sur la santé ? Part-on au travail joyeux, fatigué, en colère, apeuré, blasé ? Rentre-t-on dans le même état ? Est-on en conflit avec un salarié/supérieur en particulier ? Est-il possible d'en parler ? Est-il possible de faire des compromis des deux côtés (salarié et supérieur) ? A chacun de faire le point avec sincérité, pour prendre la meilleure décision pour sa carrière professionnelle et sa vie personnelle.
Travailler, mais pourquoi ? La question est plus profonde qu'il n'y paraît. La crise sanitaire a réinterrogé le rapport au travail. La recherche de bien-être et d'épanouissement est tout aussi importante que l'accumulation de compétences techniques. Les candidats d'aujourd'hui veulent être reconnus aussi bien pour leur savoir-être que pour leur savoir-faire. Les entreprises sont également sensibles à ces notions. Face aux menaces de démission, les sociétés revoient leurs stratégies managériales. Davantage de dialogue, d'humain, d'échanges, de relationnel. Les résultats sont toujours positifs : meilleure vie au travail, et hausse de la productivité. Un résultat gagnant/gagnant qui concourt au bien-être de tous.